Qui
n’a jamais entendu cette chanson enfantine quand il portait la couche : « Fais
dodo, Colas mon p'tit frère, fais dodo, t'auras du lolo ! » Moi, cette
chanson, je l’ai entendue jusqu’à l’adolescence. Heureusement, à mes treize ans,
j’ai enfin eu la permission d’avoir mon lit dans une chambre à part.
J’avais
constamment cette chanson en tête, je n’arrivais pas à me la sortir du crâne,
c’était infernal, je pensais lolo du matin au soir, je dormais lolo, je rêvais
lolo, je voyais des lolos partout, j’entendais même des voix me susurrer des
trucs à l’oreille, des trucs qu’on ne pas dire aux enfants, qu’on ne doit pas
dire aux enfants, des trucs de grands, des choses obscènes.
« Maman
est en haut qui fait du gâteau », c’est la suite de cette comptine débile.
Maman
faisait des gâteaux, beaucoup de gâteaux, trop de gâteaux. Elle ne travaillait
pas, alors elle s’occupait de la maison, du jardin, de moi, souvent, très
souvent, trop souvent et surtout, elle me forçait à bouffer ses putains de
gâteaux, elle m’étouffait !
Alors,
dans un accès de colère à l’adolescence, je l’ai étouffé avec une part bien
épaisse de pudding. Cela n’a pas été facile, j’ai dû fermement maintenir sa
tête contre la table de la cuisine, mon corps appuyé contre le sien, car elle
bougeait beaucoup. Heureusement, mes deux mètres et mes 110 kilos ont eu raison
de ses gesticulations inutiles. Une main sur sa gorge, l’autre plaquée contre
sa bouche, je l’ai regardé s’éteindre, les yeux dans les yeux, mes iris jaunâtres
dans les siens. C’était beau à voir, c’était comme un coucher de soleil, l’énergie
de son regard s’est progressivement évaporée, remplacée par un voile obscur que
seuls ceux qui tuent peuvent comprendre. Puis ce fut ses spasmes musculaires
contre mon corps, comme si elle jouissait une dernière fois, comme si je lui
avais fait l'amour.
Ma
mère portait toujours un large décolleté, m’exhibant ses gros lolos depuis que
j’étais gosse. Un dernier spasme les a secoués, a fait rouler leur peau
laiteuse sous mon nez. De rage, j’ai déchiré son décolleté. Ses tétons étaient
dressés. Mille images m’ont traversé l’esprit, toutes m’ont écœuré, j’ai eu des
nausées, j’ai vomi sur ses seins le lait qu’elle me donnait encore la veille.
Puis j’ai pris un couteau et…mon histoire étant diffusée un peu partout sur le
web, je vais éluder cette partie pour les ados en mal de célébrité. Sachez
simplement qu’une touche de sauce vinaigrette César rendra le goût de la viande
moins métallique. Pour finir sur ce couplet, je dirais que si maman est en Haut,
elle ne fait sûrement plus de gâteaux, sauf si le Bon Dieu l’a faite cuisinière !
« Papa
est en bas qui coupe du bois », c’est la fin de cette infecte chanson mes
petits. Oui ce jour-là, papa coupait du
bois en bas, près de la grange. Mon père était bûcheron, il était encore plus
grand et plus costaud que moi. Méfiant, je suis arrivé par derrière mais une
branche morte a cassé sous mon pied. Il s’est retourné et comme d’habitude, il
a essayé de me frapper. À force d’être battu, j’ai appris à esquiver ses coups
et ma hachette s’est plantée au-dessus du genou gauche. Plusieurs tendons ont
été sectionnés puisque sa jambe a lâché sèchement, le faisant basculer en
arrière, sur son tas de bûches. Sa tête a fait un bruit sourd contre le bois,
il était sonné le connard.
C’est la première fois que j’avais le dessus
sur lui, je ne vous raconte pas dans quel état d’excitation j’étais. Je sautais
partout en criant ma joie ! Au moment de lui couper la tête, il m’a sorti
son refrain habituel, celui où il me dit que je suis fou, que je voie le mal
partout, que j’ai sûrement oublié de prendre mes cachets, qu’ils auraient dû
écouter les médecins et faire interner le monstre au visage difforme, le
découpeur d’animaux, le sadique de la ferme ! Ses propos m’ont gâché ma
fête d’anniversaire, j’étais très contrarié et au lieu de me taper la tête
contre les murs comme je le faisais parfois, je l’ai frappé avec mon front
jusqu’à ce que son visage ne soit plus qu’une bouillie pour bébé.
J’ai
passé 32 ans derrière les murs d’un hôpital psychiatrique à cause de cette
maudite chanson. Aujourd’hui, je suis libre, en pleine santé mentale et
physique. Ce qui m’a donné envie de raconter mon histoire, c’est que l’autre jour,
alors que j’étais assis sur mon banc attitré dans le parc public, j’ai entendu une
douce voix chanter la sordide chanson. Une femme berçait son enfant sur le banc
à côté du mien. Elle tenait la petite chose entre ses bras et lui fredonnait
sans cesse les paroles. À chaque nouveau couplet, sa voix devenait plus aiguë
et de petits ricanements terminaient ses phrases. De la sueur me coulait dans
le dos, j’avais tellement peur qu’elle lui donne du lolo devant tous ces gens, devant
tous ces gamins. Alors je me suis levé et…j’ai été m’asseoir un peu loin. Elle
a vu que je n’arrêtais pas de la fixer et elle est partie. J’ai respiré un
grand coup et sans vraiment comprendre pourquoi, je me suis mis à pleurer la
perte de mes parents.
Ah
oui, j’allais oublier, si vous avez un enfant, ne l’appelez Colas, comme moi,
ou on se moquera de lui à l’école, on lui chantera sans cesse cette chanson
débile et en rentrant chez lui, le gamin aura l’envie de se venger sur tout ce
qui bouge, même les animaux….
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2018@Gebel de Gebhardt Stéphane.
Ce texte est libre de partage.
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Je m'attendais pas à une fin "paisible", bien joué, ça change des creepypastas habituelles.
RépondreSupprimerMerci Rabadu, content de te voir traîner par ici...
SupprimerDes trucs qu'on ne doit pas dire aux enfants*
RépondreSupprimerLa phrase a été répétée 2 fois, la première a une faute et la deuxième non
Dans un excès de colère*
Ça rendrait mieux "il était sonné, le connard"
Que je vois*
Voilà ^^
Très bonne histoire. Très glauque. J'aime l'idée de reprendre une comptine. ça m'a fait pensé au roman d'Agatha Christie (Dix petits nègres).
RépondreSupprimerMerci d'avoir lu cette histoire imparfaite, je vais la réécrire.
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