Bonjour. Je m’appelle
Feng. J’ai 15 ans. Je vais vous raconter mon histoire avant d’en finir avec
la vie. Personne ne me croit. Ni les docteurs, ni les psys, ni mon père. Ils
disent que j’étais dans le vol qui a disparu. Ils disent que j'ai tout inventé. Ils
disent que je suis fou. Je suis normal, tout à fait normal. Alors peut-être que
les lecteurs de ce site consacré aux morts suspectes me croiront. Si vous
voulez copier mon histoire sur d’autres sites, n’hésitez pas à le faire, vous
avez mon accord. Euh, mettez juste que c’est l’histoire de Feng de Pékin. Et
dîtes qu’elle est vraie. Surtout qu’elle est vraie et que je n’ai rien inventé.
J’étais bien dans ce vol, et il s’est passé quelque chose pendant mais je ne
m’en souviens plus. Alors ouais, dîtes tout ça aux autres et ne transformez
rien.
Ma mère avait 43 ans
quand les évènements se sont produits. J’avais treize ans en 2014. Ma mère et
moi revenions d'un voyage en Malaisie. On avait pris le fameux vol. Pas celui
d’avant ni celui d’après, le fameux vol.
Dès qu'on a posé un
pied à l'aéroport, j’ai trouvé ma mère différente, changé, sans vraiment
comprendre pourquoi. Sa main était glaciale mais je me suis dit qu’elle avait
peut-être pris froid pendant le vol. Pourtant, le soir même de notre retour, quand
j’ai été me coucher et que je lui ai dit bonne nuit, son baiser sur mon front était
aussi glacial que sa main. Et le bruit de son baiser, un long bruit de succion.
Elle m’embrassait rarement sur le front (elle disait que c’était les vieillards
qui embrassaient comme ça) et jamais aussi longtemps.
Les premiers soirs, j'ai
trouvé ça vraiment étrange puis j’ai fini par m’y habituer. Même à la froideur
de ses lèvres. Enfin non, pas vraiment, puisque dès qu’elle avait le dos tourné
je m’essuyais le front en lui demandant de bien fermer ma porte. Ce n’est pas
que j’avais peur de ma mère, mais je détestais ses baisers bruyants en pleine
nuit. Oui, un autre truc qu’elle ne faisait jamais : elle se levait en
pleine nuit et sans allumer la lumière de ma chambre, elle venait m’embrasser.
Ça me réveillait à chaque fois putain. Alors elle ricanait, s’excusait et
repartait en chantonnant, heureuse de la trouille qu’elle me filait. Enfin si
c’en était restait là, j’aurais pu grandir « normalement » et je
n’aurais pas péter les plombs toutes les quatre minutes.
Mes parents étaient
divorcés depuis cinq ans et j’étais fils unique. Chow, c’était ma voisine et ma
nounou quand j’étais haut comme trois pommes. Un après-midi (une semaine après
notre retour de Malaisie), Chow m’a demandé de m’asseoir et m’a questionné au
sujet du comportement ma mère. Chow trouvait qu’elle était différente depuis
notre retour. Elle la trouvait dans la lune et que ses pertes de mémoire
commençaient à sérieusement l’inquiéter. Elle disait aussi qu’elle s’était
inventé une autre vie là-bas en Malaisie, qu’elle prétendait avoir un garçon de
mon âge et qu’elle lui avait promis de le retrouver bientôt. Enfin, Chow m’a
demandé si j’avais remarqué que ma mère perdait ses cheveux ? Je lui ai
répondu que je n’en savais rien. Elle m’a alors montré une grosse touffe de
cheveux noire aux reflets acajou, identiques à ceux de ma mère. Ça m’a un peu
effrayé et c’est à ce moment précis que j’ai commencé à observer plus
attentivement ma mère et à noter des détails dans un carnet secret. J’avais
treize ans quand je l’ai écrit et j’ai corrigé les fautes d’orthographes mais
excusez s’il en reste.
Samedi 8 mars 2014
Maman est restée en
pyjama jusqu’à midi. D’habitude, après le petit déj, elle se maquille et
s’habille, même pour rester à l’appart. Puis
elle m’a dit qu’elle allait chez le coiffeur. J’ai alors cru qu’elle allait se
changer, mais au lieu de ça elle a un pris une paire de ciseaux dans le tiroir
de la cuisine. Puis elle est monté à l’étage et s’est enfermé dans la salle de
bains. Je l’ai observé par le trou de la serrure. Devant la glace, toujours
avec son pyjama sur le dos, elle a coupé de grandes mèches de ses longs cheveux
noirs. Je pouvais voir sa nuque s’éclaircir. Le pire c’est qu’elle les coupés
de travers. Les cheveux tombaient sur ses épaules de son pyjama, dans le
lavabo, sur le meuble et le tapis de douche. Elle qui était si maniaque s’en
fichait. Puis elle a posé la paire de ciseaux et a fait une chose tellement
dégueulasse que j’en frissonne encore : elle a ramassé tous ses cheveux,
en a fait un tas, puis a pioché dedans. Après avoir une bonne poignée, elle l’a
portée à la bouche et commencé à les macher !! J’ai posé une main sur ma bouche pour ne pas
crier. Elle s’est retournée vers la porte en mâchant toujours ses
cheveux !! Elle a froncé les sourcils, ses yeux bleus m’ont semblé devenir
noires. Elle a marché doucement vers la porte, comme un chat vers sa proie.
J’ai bondi jusqu’à ma chambre qui était fort heureusement à côté de la salle de
bains et j’ai sauté sur mon lit. Mon cœur battait le galop. J’ai entendu le
grincement de la porte puis ses pas on fait craqué le plancher. Puis sa tête,
juste sa tête, a dépassé de l’encadrement. Les yeux écarquillés, grand ouvert, elle
me regardait. Heureusement j’avais un livre sur mon lit et j’ai fait semblant
de lire. Après une bonne minute d’observation elle m’a demandé si j’allais bien
et je lui ai répondu ouais sans la regarder. Elle est repartie et s’est de
nouveau enfermée dans la salle de bains.
Dimanche 9 mars 2014
Je n’ai pas bien dormi
cette nuit. J’ai fait plein de cauchemars. Je voyais ma mère m’arracher les
cheveux avec ses dents puis les manger en ricanant. Du sang me coulait sur le
visage et ma mère le lécher. C’était horrible. Heureusement qu’elle s’est
comportée normalement aujourd’hui, sinon je me serais enfui chez papa. J’ai
voulu aller en parler à Chow, mais elle est partie en week-end. Hâte qu’elle
revienne.
Lundi 10 mars 2014
J’ai encore mal dormi et
fait le même cauchemar. Qu’est-ce qui se pase ? Ma mère était normale
avant le voyage, même dans l'avion. Enfin je crois, car j'ai dormi tout le long
du vol. Je suis allé voir Chow et je lui ai expliqué pour les cheveux. Elle a
été choquée et m’a dit qu’elle allait en parler à un ami qui est psycho quelque
chose. Elle m’a dit aussi de ne pas m’en faire et de continuait à lui dire
comment elle se comporter. Ah oui, elle doit encore me montrer un truc que ma
mère a perdu sur son paillasson. Enfin, elle est pas sûre que ce soit à elle.
Mardi 11 mars 2014
Toujours le même
cauchemar. En pire à cause du doigt. C'était le truc que Chow devait me montrer.
Elle m’a demandé si c’était à moi et je lui ai dit que non. Et puis il était
bien trop grand. Et puis bien trop long aussi. Ah oui, c’était un doigt en
plastique, sans ongle, en silicone, pas en chair humain comme je l’ai cru au
début. Il n’appartenait pas à ma mère non plus puisque j’en ai compté douze.
Euh dix. Ses cheveux ont repoussé. C'est comme si elle ne les avait jamais
coupé. Je n’ai pas envie qu’elle les mange encore. Chouette demain c’est
mercredi et Chow m’emmène au cinoche. Vivement que tout redevienne normal.
Mercredi 12 mars 2014
J’ai trouvé Chow très
étrange. Elle a pas dit un mot de tout le film. Ni après. Quand on est arrivé à
notre étage, elle m’a demandé si elle pouvait fouiller la chambre de maman. Je
lui ai dit que je ne savais pas. Elle a insisté et m’a fait promettre de ne
rien lui dire. C’était pour sa guérison qu’elle a dit mais d’abord il fallait
comprendre. Chow a trouvé un ongle peint avec du vernis rouge. Le même que
maman. Chow l’a essayé sur le doigt et ça rentrait dans l’empreinte de l’ongle.
Quand maman est rentrée à la maison, j’ai discrètement vérifié ses mains et il
ne manquait ni doigt ni ongle. J’ai juste trouvé sa peau un peu dure et
toujours froide mais je m’y étais habitué.
Jeudi 13 mars 2014
Je crois que je ferai
ce cauchemar toute ma vie. En plus de m’arracher les cheveux avec ses dents, ma
mère me crevait aussi les yeux avec ses ongles rouges. Puis elle les croquait
en riant. C’était horrible. J’ai pris l’habitude d’avoir une bouteille d’eau à
côté de moi. Après un cauchemar j’en bois un peu, ça me calme. Cette nuit, la
bouteille était vide. Je me suis levé pour la remplir et quand je suis passé
devant la porte de la chambre à maman, j’ai entendu des cris étouffés. J’ai eu
si peur que tout mon corps tremblait. Malgré ça je voulais savoir ce qui se
passait. J’ai alors regardé par le trou de la serrure. Je voyais le visage de
ma mère et une partie de son corps allongé sur le lit. Elle dormait la bouche
grande ouverte. Les petits cris étouffés semblaient venir de là. J’ai pensé qu’elle
faisait un cauchemar. J’ai aussi remarqué près de sa table de nuit un verre
avec deux billes blanches à l’intérieur. Ça brillait un peu. Je n'avais jamais
vu ça avant, même quand plus jeune je dormais avec elle. Puis j’ai été remplir
ma bouteille et je me suis recouché. J’ai réussi à me rendormir.
Vendredi 14 mars 2014
Chow est morte (des
années plus tard j’ai su la cause de sa mort : asphyxie des poumons par
écrasement des côtes). Je l’ai appris après être rentré du collège. Y’avait des
flics qui allait et venait chez elle. Maman était déjà là. Elle avait pris son
après-midi. C’est elle qui me l’a dit pour la mort de Chow. J’ai pas joué les
durs, j’ai pleuré. Je lui ai même demandé de dormir avec elle car je lui ai dit
pour les cris étouffés de la nuit derrière. Elle m’a rit au nez et m’a demandé
de me mêler de mes affaires. Je ne sais pas pourquoi mais j’ai un mauvais
pressentiment, je redoute la nuit qui arrive.
Je n’ai tenu mon journal que six jours. Car
après la nuit du vendredi à samedi, je n’ai plus été capable d’écrire quoi que
ce soit. Cette nuit-là a changé le cours de mon existence et a irrémédiablement
modifié ma vision des choses sur un monde soi-disant normal.
Pour
« oublier » la mort de Chow, ma mère a rapporté un Mc Do. Elle n’a
pas versé la moindre larme pour une de ses meilleures amies. C’est à peine si
elle s’en rendait compte. J’ai trouvé ça un peu choquant mais j’ai mis ça sur
son comportement étrange. Je me disais qu’elle allait finir par réaliser que
d’ici quelques jours, notre voisine était bel et bien morte.
Pendant le repas devant
la télé, je ne cessais de regarder ses mains, ses yeux, ses cheveux. Je ne sais
pas pourquoi, mais je ne les trouvais pas naturels. C’était juste une
impression, pas une certitude. Sans doute avais-je en tête ce doigt en
plastique que Chow m’avait montré et ce cauchemar qui laissait une saveur
glauque à mes journées. Son bisou du soir sur mon front s’est aussi avéré plus
court et moins bruyant que d’habitude. Et puis elle m’a serré fort dans ses
bras. J’ai cru qu’elle allait m’étouffer. Puis elle m’a dit une phrase que je
n’oublierais jamais : « même la mort ne nous séparera pas ». Je
me suis dit alors que ma mère m’aimait beaucoup et j’ai rapidement trouvé le
sommeil, toujours dans l’espoir d’un retour au calme…
En pleine nuit, mon
inconscient m’a alerté de quelque chose et m’a doucement réveillé. J’ai aussitôt
entendu des cris étouffés. J’ai eu peur pour ma mère et j’ai bondi du lit.
Allongée sur les
couvertures, ma mère dormait la bouche grande ouverte. Elle n’avait pas fermé
les volets et la lumière d’un réverbère donnait une atmosphère orange-sombre à
sa chambre, un peu comme dans un parking mal éclairé.
En m’approchant, les
cris étouffés se sont arrêtés. Puis j’ai entendu « aide-moi, pitié, aide-moi ».
Ça venait de sa gorge. Sa glotte allait et venait sur la peau de son cou. Mais
sa bouche restait fixe, toujours grande ouverte. Le verre sur la table de nuit
a fait un bruit comme s’il se déplaçait. J’ai regardé et j’ai vu que les deux
boules étaient en fait deux yeux en verre. Leurs iris bleus (comme ceux de ma
mère) me fixaient. De peur, j’ai failli pisser dans mon froc. J’ai à nouveau
entendu « aide-moi, pitié, aide-moi » sortir de sa gorge.
Après un craquement
sinistre sa tête s’est tournée vers moi. Deux orbites vides me fixaient
horriblement. Et au fond, tout au fond de cette bouche ouverte et de ces
orbites vides, j’ai vu quelque chose d’impossible à croire et qui deux ans
après me hante encore.
J’ai vu un œil injecté
de sang au tout fond de chaque orbite, j’ai vu des lèvres éclatées au fond dans
la bouche grande ouverte et ce sont ces lèvres qui poussait des cris étouffés
et qui bougeaient en disant « aide-moi, pitié, aide-moi ». J’ai voulu
m’enfuir, mais une main glaciale a attrapé mon poignet. Je me suis débattu
comme un fou et j’ai réussi à lui échapper. Cette chose s’est précipitée
derrière moi et m’a pourchassé dans le couloir. J’entendais rire, mais aussi
« « aide-moi, aide-moi ».
Je me souviens que sur
le plancher du premier étage son pas faisait un drôle de bruit, comme des coups
de marteau sur du bois. On avait un duplex et j’ai dévalé les escaliers quatre
à quatre puis j’ai commencé à déverrouiller la porte d’entrée. J’ai alors
entendu un bruit sourd derrière moi, puis un cri aigu. La chose est tombée dans
les escaliers puis s’est disloquée pièce par pièce. La tête a roulé jusqu’à mes
pieds. Ses orbites étaient creuses et totalement vides. Plus rien à
l'intérieur. J’ai alors levé la tête et j’ai vu une silhouette sombre plus
petite, plus mince, de travers sur les marches de l’escalier. Son corps était
cassé en deux, mais sa tête me fixait. C’est là que j’ai reconnu les yeux
grands bleus de ma vraie mère. C’était effroyable et je me suis enfui en
hurlant. Après c’est le trou noir, mais je crois que sur le trottoir un éboueur
m’a recueilli et m’a emmené à l’hôpital…
Je me suis réveillé
dans une chambre verte et bleue. Mon père était assis près de moi et dormait
une main dans la mienne. J’ai dû le réveiller en bougeant et il m’a aussitôt
serré dans ses bras en pleurant comme une petite fille. Je n’ai compris
pourquoi qu’au bout de longues et interminables minutes : il a cru que
j’étais mort avec ma mère lors de l’accident d’avion du vol MH 370 de la Malaysia
Airlines. C’est tout simplement impossible.
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Note wikipédia
: Le vol 370 Malaysia Airlines (code AITA : MH370) est un vol international
régulier de la compagnie aérienne Malaysia Airlines reliant Kuala Lumpur à Pékin.
L'appareil, un Boeing 777 qui transportait 239 personnes dont une majorité de
ressortissants chinois, est porté disparu depuis le 8 mars 2014.
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2018@Gebel de Gebhardt Stéphane.
Ce texte est libre de partage.
Après une telle lecture, bonne nuit aux âmes sensibles , mon cher Stéphane !
RépondreSupprimerMerci mon cher Alain ! Content de t'accompagner dans mes cauchemars ! Prends ta valise, j'en ai plein d'autres !
SupprimerBonjour Stéphane, je viens de lire ton texte , j'avoue que les émotions au fur et à mesure de la lecture s'accélèrent...un peu stressant ! Bravo !
RépondreSupprimerJe vais rechercher en librairie ton recueil ...frissons garantis .
Amitiés !
Merci Hélène. Je ne l'ai pas créé encore en version papier car il est toujours en correction chez des correcteurs qui m'on fait la gentillesse de s'y pencher ! En tous cas merci de ton compliment, mes amitiés.
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