samedi 26 mai 2018

Chroniques d'un Gardien de Cimetières (Introduction)




Je ne sais pas très bien comment tout ça a commencé. Je me souviens juste de cette lumière intense derrière une fenêtre de ma chambre. Je pensais dormir, mais l’instant d’après j’étais là, au sein de cette lumière laiteuse, dense et chaude, presque palpable. Des silhouettes plus sombres se tenaient autour de moi, des voix de différentes tonalités chuchotaient tandis que d’autres psalmodiaient un chant cristallin. J’avais l’impression d’être le centre d’intérêt d’un jury et que leur décision allait changer le cours de ma vie.

Ce souvenir me hante jour et nuit. Je voudrais le comprendre, mais le sens profond m'en échappe toujours. Pourtant, quand la terreur me submerge, je sens sa chaleur en moi, il me ressource pour ne pas succomber à ce qui est humainement possible de supporter, d’accepter. Je me nomme Terence Skill, je suis gardien de cimetières.

À dire vrai, je ne m’attendais pas à faire ce métier. Je suis sorti de l’école avec les mains dans les poches et des coups de pied au cul. La seule chose que je réussissais très bien à faire c’était de me faire virer des écoles où je me posais mes sandales. Pourtant, je n’étais pas un élève turbulent, j’étais juste…ailleurs. À 15 ans, j’ai commencé à bosser avec mon père sur ses chantiers et il a vite compris que j’étais vraiment un bon à rien. Selon lui, ma mère et mes profs, la seule chose dont je pouvais me vanter était la froideur avec laquelle j’accueillais les événements de ma vie. Un jour, un prof m’a qualifié de jeune homme stoïque. Je n’ai compris ce mot qu’après avoir cherché sa signification dans le dictionnaire.

Ce prof n’avait pas tort, car à la mort de mes parents dans un accident de la circulation, je suis resté stoïque. Bien sûr, j’étais intérieurement très triste, j’ai chialé dans mon coin, mais devant les autres, la famille, les amis, je suis resté stoïque, le visage figé comme le marbre d’une pierre tombale. C’est ce que disait aussi mes collègues de la municipalité alors qu’ils essayaient de me faire rire, mon chef après m’avoir copieusement engueulé alors que j’avais conduit la benne à ordures dans le décor. C’est sans doute pour cette dernière raison qu’il m’a demandé d’aller voir le maire pour un nouveau poste. Je suis resté stoïque et je me suis rendu à la mairie.

J’ai frappé, une voix m’a dit d’entrer. Le maire était assis derrière son bureau en verre, dans son grand fauteuil en cuir. Costume noir, chemise blanche, cheveux poivre et sel, visage blafard et regard terriblement bleu, l’allure du maire m’avait toujours intérieurement impressionné. Extérieurement bien sûr, je restais placide.

- Asseyez-vous Terence.
J’ai pris place.
- J’ai un poste à vous proposer.
- Le mien me convient très bien, monsieur le maire.
- Ramasser les poubelles vous fait mal au dos et conduire la benne nous fait perdre de l’argent.
- Je ne me suis jamais plaint et c’était juste une petite erreur de conduite monsieur le maire, j’ai cru voir quelque chose.
Un tic a brièvement agité les commissures de ses lèvres.  
- Il est donc temps pour moi de vous proposer un poste plus en rapport avec les choses que vous croyez voir Terence.
- Je…je ne comprends pas.
- Edward Kasnyk, vous connaissez ?
- Non monsieur le maire.
- C’était l’ancien gardien du cimetière.
- Pourquoi ancien ?
- Il est part à la retraite ce soir.
- Le chanceux.
- Il vous attend pour vous passer les clés.
- Vous plaisantez ?
- En ai-je l’air ?
Effectivement, la mine sinistre du maire n’avait rien d’une plaisanterie.
- Et si je refuse ?
- Vous être un piètre conducteur et vous avez mal au dos.
Je crois avoir crispé la mâchoire, signe évident de mon extrême contrariété.
- Puisque je n’ai pas le choix.
- Parfait ! a-t-il souri. De plus, vous verrez, c’est un métier assez simple, en entière adéquation avec vos capacités intellectuelles.
Autrement dit, il me traitait de demeuré. Évidemment, je n’ai pas cillé.
- Le gardien du cimetière prend en charge l’ouverture et la fermeture du cimetière, l’accueil des familles et des visiteurs et s’assure du respect du règlement sur le site. C’est presque tout !
Je ne sais pas pourquoi, mais je sentais un truc pas clair dans son intention de me refourguer le poste. On aurait dit que le maire voulait me refiler la patate chaude à tout prix.  
- C’est...presque tout ?
- Oui, enfin non, il y a quelques autres à respecter, des règles plus…officieuses.
Le maire s’est penché au-dessus du bureau et a soufflé :
- Vous êtes un homme stoïque Terence, vous saurez y faire face, j’en suis intimement convaincu.

Une minute plus tard, j’avais en main mon contrat de travail déjà rédigé à mon nom et en annexe, les règles officielles et officieuses du cimetière classé en catégorie C-2. Après les avoir lues, je n’ai pas pu m’empêcher de lui lâcher ma meilleure réplique :

- C’est une plaisanterie ?
- Ai-je une tête de clown ?
- Non, mais les apparences sont parfois trompeuses.
- Je suis maire, pas saltimbanque.
- Je suis éboueur, pas Ghostbusters.
- Vous ne l’êtes plus et ce que vous aurez à faire, c’est de rester de vous-mêmes en toutes circonstances et d’appliquer les consignes. D’ailleurs les fantômes n’existent pas, tout le monde sait ça.
J’attendais un petit sourire de sa part, mais il a gardé sa face de gardien de prison jusqu'à la fin de l'entretien, enfin presque.
- Est-ce clair pour vous ?
- Si on veut.
- De plus, il y a un logement de fonction au milieu du cimetière, un logement entièrement gratuit.

Moi qui avais du retard dans le paiement de mon loyer, c’était un sacré plus, quoiqu’à l’idée d’habiter au milieu d’un cimetière ne m’enchantait pas plus que ça. Les 2000 euros de salaire mensuel ont fini de faire pencher la balance en ma faveur ou la sienne, faut voir, ainsi que l'argument ultime :
- Il y a aussi les primes.
- Les primes ?
- Pour les affaires résolues.
- Désolé, je ne comprends pas.
- Vous le comprendrez bien assez tôt Terence et puis, si je vous disais tout maintenant, ce ne serait plus très amusant pour vous !

Cette fois, le coin gauche de ses lèvres s’est étiré d’un rictus inquiétant.

- Sans doute, ai-je maugréé.
- Maintenant, puisque nous sommes d’accord, SIGNEZ !

La suite dans : Règlements et annexes d’un gardien de cimetières C-2.






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mercredi 23 mai 2018

Le Découpeur de paupières (1)




Une histoire circule en ce moment sur tous les réseaux sociaux et les sites consacrés aux histoires d’horreur. Je ne sais pas quel crédit lui apporter. Beaucoup disent que cette histoire est fausse, moi je pense perso qu’elle pourrait être réelle.

« La maman referma la fenêtre ouverte de la chambre de Lise et vint s’asseoir au bord de son lit. Elle lui caressa tendrement le front en se disant qu’elle était chanceuse d’avoir une petite fille aussi gentille, aussi intelligente. Son seul défaut était la gourmandise.   

- Maman, ce soir je n’ai pas peur.
- Tu n’as pas peur de quoi ma chérie ?
- Qu’on me découpe les paupières.
- Mais c’est horrible ça ma fille ! Et qui viendrait te faire ça ?
- Le Découpeur de paupières !
- Le découpeur de paupières ?
- Oui, il les découpe avec son scalpel pour que les enfants soient toujours réveillés quand Rouge viendra les défigurer avec son sable !
- Rouge ? Qui est Rouge ?
- C’est le méchant frère du marchand de sable.
- C’est ta grande soeur qui t’a raconté ces horribles sottises ?
- Non, c’est le monsieur avec le masque ce clown qui sourit.
- Le…monsieur avec le masque de clown qui…sourit ? répéta hébété la mère.
- Oui, mais il est gentil, il me donne des bonbons pour que je me taise.
- Des bonbons ? Je t’ai déjà dit de ne pas accepter de bonbons des inconnus !
- Ce n’est pas un inconnu, il vient souvent me voir pour me protéger du marchand de sable Rouge et du Découpeur de paupières. Alors, comme il veille sur mon sommeil, je l’aime bien.
La maman resta plusieurs secondes à observer sa fille. La petite triturait une poupée de chiffon malgré les monstruosités qui sortaient de ses petites lèvres purpurines. Elle semblait même plutôt sereine.
- Tu…m’as dit que le monsieur avec le masque de clown voulait que tu te taises. Pourquoi veut-il cela ?
- Bah pour pas que je te dise.
- Que tu me dises quoi ?
- Bah quand il vient me voir pour me protéger.
- Mais…il vient te voir…où ?
- Bah ici, dans ma chambre.
- Tu…veux…dire que cet homme vient ici, dans ta chambre ?
- Oui, il rentre par la fenêtre, mais comme tu l’as refermé, je ne sais pas s’il pourra repartir sans me réveiller, car la poignée fait du bruit.
La maman tressaillit. Que venait de dire sa Lise ? Ce n’était pas possible, elle lui avait dit mille fois de ne pas accepter de bonbons d’inconnus, de ne pas leur parler, de ne pas les suivre, de ne pas les faire entrer dans la maison !
- Et…où…est…cet…homme ? dit la mère d'un ton effrayé.
- Derrière toi maman.
La maman se retourna brusquement. Ses cervicales craquèrent. Il n’y avait rien d’autre que…la porte entrouverte du placard. Elle ravala sa salive, se dit que sa fille lui faisait une bonne farce, bien que Lise n’ait pas l’habitude d’en faire.
- Je ne vois rien ma…chérie.
- Dans le placard maman, il surveille Rouge depuis placard.
La maman sentait son cœur battre dans ses tempes. Pour elle, il était impossible que Lise laisse entrer un homme dans sa chambre, Lise était trop méfiante pour ça.
- Tu me fais marcher, c’est ça ?
- Non, t’a qu’à voir.
- OK, puisque tu as décidé de jouer à la méchante petite fille, pourquoi pas !
La maman inspira une grande bouffe d’oxygène, se leva et fit les trois pas qui la séparaient du placard. Un léger craquement arrêta son geste sur la poignée de la porte. Il ne venait pas du placard, mais de la moquette sous son pied droit. Elle l’écarta doucement et trouva un emballage de papier bonbon.   
- Oups, j’ai oublié de la jeter rigola sa fille.
Interloquée par sa désobéissance, la maman se tut et pour se rassurer, ouvrit sèchement la porte du placard. Heureusement, seules des étagères remplies de jouets et de déguisements répondirent à ses inquiétudes. Soulagée, elle allait refermer la porte quand un détail attira son attention : une épaisse touffe de cheveux rouge dépassait d'un bac à jouets. Que cela pouvait-il bien être, sa fille n’ayant jamais eu de déguisement ou de poupées avec cette couleur de cheveux ? Elle se pencha, attrapa les cheveux avec une grimace de dégout, tira doucement dessus, découvrit le masque d’un clown avec un grand sourire. En soi, le masque n’était pas effrayant, hormis cet étrange regard aux paupières mi-closes. Si le caoutchouc du masque était lisse, les paupières étaient fripées, jaunâtres et sèches comme de la peau écornée. Cousues avec du fil noir autour de l’œil, ces paupières semblaient appartenir à un cadavre.
- Qu’est-ce que c’est que cette horreur ? murmura la mère de l’enfant.     
La stupéfaction passée, elle se sentit en colère contre sa fille. Elle cria en se retournant :
- À qui est cette horreur ?!
- À moi, répondit une voix rauque sous le lit. C’est un déguisement pour ne pas faire peur aux petites filles aussi gentilles que la tienne.  
Deux yeux globuleux et une bouche dépecée de ses lèvres la fixaient depuis cet endroit. La mère écarquilla les yeux en lâchant le masque. Sur le lit, sa fille regardait fixement le plafond. Ses yeux étaient dénués de toutes paupières, un filet de sang coulait le long des joues, sa bouche était grande ouverte. Choquée, la mère étouffa un cri.
Le Découpeur se releva sèchement, à une vitesse anormale pour un gabarit de sa taille. L’éclat métallique d’un scalpel brillait dans sa main gauche.
- La petite Lise n’est pas morte, elle est juste endormie. Remercie-moi de l’avoir sauvée de Rouge, grogna le Découpeur…

Voilà pour cette histoire. J’ai fait de nombreuses recherches sur internet et à part quelques rumeurs, on ne sait pas vraiment ce qui est arrivé à la mère. Lors de ces recherches, je suis tombé sur ce petit texte concernant le Découpeur de paupières :

Méfie-toi, le Découpeur te regarde depuis ta fenêtre.
Tu ne dois pas dormir, Rouge est en chemin.
Si tu dors, le Découpeur passera par ta fenêtre.
Le masque de clown se penchera sur toi.
Avec son scalpel, il caressera ton visage.
La piqûre ne te réveillera pas.
Avec une précision chirurgicale, il découpera tes paupières.
Coupe, coupe, découpe, vite fait, bien fait.
De Rouge tu seras sauvé.
Tes paupières dans la petite boîte seront déposées.
Chez lui, le Découpeur les trempera dans une solution.
Au mur, tes paupières orneront sa collection.  
Le Découpeur aime les ailes de papillon.   

Si je vous poste tout ça, c’est qu’à mon collège, je connais une fille avec un joli visage de poupée. Elle est vraiment belle, mais elle est asociale, ne parle à personne, reste toujours sur ses gardes et dans son coin. Franchement, cette fille me plaît beaucoup, mais je ne sais comment l’aborder, surtout qu’avant-hier, alors que je l’observais discrètement dans la cour du collège, elle a éternué et quelque chose a bougé sous son front. Elle a aussitôt plaqué ses mains sur son visage en baissant la tête, puis a semblé replacer quelque chose au niveau de son œil gauche. J’aurais juré avoir vu cet œil s’agrandir. Mais peut-être que je me fais des idées, peut-être qu’à force de lire les histoires du Découpeur de paupières, je vois ses victimes partout. Elle s’appelle Lise.

- À suivre -







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dimanche 20 mai 2018

Le marchand de sable Rouge (2/2)




La porte du placard grinçait par à-coups. J’étais tétanisé, le regard fixé sur l’entrebâillement. Soudain, j’ai compris que mon pote s’était trompé, que le marchand de sable rouge n’attendait pas d’accomplir sa basse besogne depuis le plafond, mais caché dans le placard ! Il était là, c’était certain, il m’avait vu discuté avec ma mère, il allait me sauter dessus, m'étrangler puis m’écraser la tête contre un mur !

La porte continuait à s’ouvrir en grinçant, enfin non, ce n’était pas une suite de grincements, c’était plutôt un petit rire métallique. De longs doigts blanchâtres sont apparus autour de la poignée. La porte a continué à s’ouvrir et la main s’allongeait comme si elle était élastique. Elle était grande, trop grande. Quelque chose a couru sur le sol. Tombée sur la moquette, l’autre longue main avançait vers moi en bougeant ses doigts comme les pattes d’une araignée. J’ai enfin eu un sursaut, j’ai levé les jambes avant qu’elle ne m’attrape les chevilles puis j’ai roulé sur mon lit. Le temps que je me retourne et le marchand de sable était collé au plafond, fixant sur moi son regard de fou. Ses gros yeux rouges étaient translucides, un sourire sadique déformait son visage hideux, et de ses petites dents pointues s’écoulaient des filets de sang qui s’étiraient jusqu’à moi. Il me regardait de côté, donnait des petits coups de tête nerveux à droite et à gauche sans me quitter des yeux. Son ventre était énorme, séparé en deux par une épaisse fermeture Éclair gardant son sable rouge.

J’ai brandi le ciseau en l’air, je lui ai montré que je pouvais me défendre, qu’il ne s’en tirera pas à si bon compte. Il a poussé un rire cynique, a écarté ses bras et ses petites jambes, puis il est brusquement tombé sur moi. Je l’ai poignardé comme fou, je me suis acharné avec toute l’énergie de ma peur ; du sang giclait, des jets pulsaient de son dos. Ses cris étaient effroyables, ils me perçaient les tympans, mais ça ne m’empêchait pas de continuer, de frapper encore et encore, avec une force que je ne me serais jamais cru capable d’avoir.

Il y eut un grand boum dans ma chambre, une porte avait brusquement tapé contre un mur. Des gargouillis s’échappaient du marchand de sable, et entre ceux-ci, j’ai cru entendre « mon chéri, pourquoi ? »

Mon père a crié avant de porter secours à ma mère allongée sur moi. Sa belle chemise de nuit blanche était couverte de son sang, mon pyjama était couvert du sien. Je ne sais plus trop ce qui s’est passé en suite, je me suis réveillé plus tard, dans un lieu que je ne connaissais pas, j'étais entouré de murs blancs, de meubles blancs, de draps blancs. J’avais une aiguille plantée dans le bras, un liquide jaune coulait d’une poche suspendue à un pied à perfusion.

J’ai été incapable d’expliquer ce qui s’était passé. Une fois ou deux j’ai mentionné le marchand de sable rouge comme étant l’auteur du meurtre de ma mère, mais j’ai vite senti que je ne faisais qu’aggraver mon cas. Je n’arrivais pas à croire que ma mère était morte comme je n’arrivais pas à croire que j’étais l’auteur inconscient de ce meurtre. Dans mon for intérieur, je savais que je n’étais coupable de rien, que le seul coupable était cette horreur qu’on appelait le Rouge. Je n’arrivais même pas à pleurer la perte de ma chère maman tellement mon esprit était anesthésié par de puissants tranquillisants.

Une semaine après le meurtre, je suis rentré à la maison. Entre temps, j’avais subi une batterie d’examens et j’avais été interrogé par un bataillon de psychanalystes malgré mon traumatisme et mon jeune âge. On m'a parlé d'un trouble du sommeil, d’un état de stress lié à des terreurs nocturnes m’ayant conduit à tuer involontairement ma mère alors que je rêvais du marchand de sable Rouge. Conclusion finale : je devais prendre plusieurs comprimés par jour afin de calmer un état de stress sous-jacent.

Ma maison était en vente, mais on devait toujours l'habiter. Elle était bien vide sans ma chère mère. Malgré les médicaments et le nouveau décor de ma chambre, j’ai fondu en larmes quand je suis assis sur mon lit, je m’en voulais tellement d'avoir tué ma mère.

D’après mon père, elle a été prise de remords, elle s'en voulait d'avoir été aussi sévère avec moi. Plus tard dans la soirée, elle est revenue me border pendant que je dormais. Elle m’a serrée contre elle et, comme je croyais qu’il s’agissait de Rouge, je l’ai sauvagement poignardé à 26 reprises. Quand mon père est arrivé dans la chambre, j'avais les yeux grands ouverts et la seule partie mobile de mon corps était mon bras tenant ce ciseau avec lequel je poignardais ma mère à une vitesse inhumaine. Ce n’est pas mon père qui m’a appris ce dernier détail, c’était ma propre conclusion, car je me vois souvent tuer ma mère dans mes cauchemars.

Mon cauchemar se répétait ainsi : je suis dans le placard et par la porte entrebâillée j'aperçois mon lit. Une ombre y est allongée, c’est mon côté sombre d’après les médecins, la partie obscure de ma personnalité, une noirceur que j’ai la particularité de voir dans mon cauchemar. Ma mère entre dans la chambre. Elle est fâchée, les traits tendus de son visage me font peur. Elle me parle, mais je ne comprends rien, sa voix émet des sons métalliques et graves. L’image se fige, c’est comme si je regardais une photo puis, tout s’accélère, l’ombre gigote, je me retrouve le dos collé au plafond, juste au-dessus de mon lit. Ma mère se penche sur l’ombre, l’enlace, l’embrasse. Apparaît alors un reflet métallique, celui du ciseau que l’ombre tient dans sa main droite. Je sursaute quand les coups pleuvent dans le dos de ma mère, des jets de sang fusent sur la moquette, éclabousse les murs. Je me réveille en sursaut, je pleure, je comprends que je l’ai tué.

Mon père m’a rassuré tous les soirs, m’a dit que j’étais un bon fils, que je n’étais pas coupable du meurtre de ma mère, que c’était un accident comme il en arrivera d’autres dans ma vie, dans la sienne, dans celle de tous les gens de cette terre. Il m’a aussi dit un truc que je n’ai pas compris tout de suite : veux-tu une nouvelle maman ?

Il n’a pas attendu ma réponse. Le lendemain, j’avais une nouvelle maman. Enfin, on appelle ça une belle-mère. Cela ne faisait pas un mois que ma mère était morte et voilà que mon père avait déjà sa remplaçante. J'ai senti que je n'avais pas mon mot à dire et que de toute façon, mon père s’en foutait complètement de mon avis. De plus, il était heureux avec sa nouvelle femme, ils s’embrassaient tout le temps, même quand je regardais la télé avec eux sur le canapé. Au fond de moi, ça me dégouttait, je trouvais que ce n’était pas une bonne attitude pour un père, surtout que je ne l’avais quasiment jamais vu embrasser maman !

Si après mon retour de l’hôpital, mon père venait me consoler, me border, me dire que j’étais un bon fils avant d’éteindre la lumière de ma lampe de nuit, ses visites se sont peu à peu espacées pour devenir inexistantes quelques jours après l’arrivée de cette femme dont je détestais le rire un peu métallique. Souvent, alors que je dormais, je l’entendais rire comme une folle dans mes rêves et je me réveillais en sursaut.

Et ce qui devait arriver arriva. Un soir d'orage Rouge est revenu juste au-dessus de mon lit, son gros corps collé au plafond. Il me faisait un grand sourire en bougeant son horrible tête comme le font ces clowns complètement fous qui terrorisent les gamins. J’ai aussitôt pris un cachet avec le verre disposé sur ma table de nuit et j’ai bu l’eau si vite que je m’en suis mis partout. J'ai plongé la tête sous l’oreiller, je murmurais que ce n’était qu'une vision, que Rouge n’existait pas, qu'aucun monstre ne me regardait depuis le plafond, absolument aucun !

Une masse est tombée sur mon matelas. Les lattes ont commencé à craquer, le marchand de sable devait sauter à pieds joints entre mes jambes écartées. Mon cri s’est étouffé dans mon oreiller, mon cœur battait dans ma gorge, je me disais que Rouge allait me massacrer, que j’allais rejoindre ma mère au paradis de ses victimes. Dans l’escalier, un rire sonore a stoppé les sauts du marchand de sable. Mon père et sa nouvelle femme montaient les marches.

Le marchand de sable rouge a dû sauter du lit, car le matelas est remonté d’un coup. Un petit rire cynique a précédé le grincement de la porte du placard. Mon père et ma belle-mère sont passés devant ma chambre en gloussant quand la porte du placard a claqué. J’ai sauté du lit et…ils s’embrassaient à pleine bouche, ne me regardaient même pas. Voir mon père embrasser cette femme m’a comme statufié. De plus, j’avais onze ans, je ne pouvais pas dire qu’un monstre vivait dans mon placard, déjà que cette femme ne m’aimait pas beaucoup.

J’ai peut-être attendu cinq minutes sans bouger, mon regard fixant la porte blanche de mon placard. Rien, même pas la poignée ne bougeait. La seule chose que je commençais à entendre était le plaisir que donnait mon père à cette femme peu discrète. J’entendais même les ressorts de leur matelas grincer. Mon regard a dévié sur mon cartable posé sur le tabouret de mon bureau. J’ai eu le courage de m’avancer jusqu’à lui, prenant bien soin de ne faire aucun bruit. J’ai doucement ouvert mon cartable, ma trousse, j’ai repris ma paire de ciseaux. À reculons je suis passé devant la porte du placard, je suis remonté sur mon lit et j’ai attendu, j’ai attendu que cette maudite porte s’ouvre et que ce monstre se jette sur moi. Mais cette fois je ne le raterais pas, ce n’était pas ma mère qui bondirait sur moi en rigolant comme un cinglé, ce serait le marchand de sable Rouge.

Au bout d’un temps que je ne saurais dire, le sédatif a commencé à faire effet, mes paupières sont devenues lourdes. Le silence hantait la maison, je n’entendais que le souffle discret de ma respiration. La poignée de la porte restait immobile, le marchand de sable attendait que je m’endorme pour me sauter dessus, pour me frapper, pour m’éventrer. Pouvais-je alors le laisser me tuer sans lutter ? Je savais ce dont j’étais capable, j’avais vu à maintes reprises ma partie sombre dans mon cauchemar, je sentais que je pouvais tuer Rouge et alors il ne viendrait plus jamais hanter mes nuits. Et si c’était illusion, alors je tuerais cette illusion, car d’après les médecins, il faut affronter ses peurs pour les vaincre.

J’ai calé l’oreiller contre ma tête de lit, j’ai appuyé mon dos dessus, je restais sans bouger en regardant la porte de mon placard. Mes paupières étaient de plus en plus lourdes, je me frottais les yeux pour ne pas m’endormir, mais peu à peu, j'ai commencé à sombrer dans le sommeil. C’est entre le rêve et la réalité qu’une idée étrange m’est venue. La seule solution pour ne jamais être surpris par Rouge était de rester éveiller à toutes les heures de la nuit, que je ne devais jamais fermer les yeux. C’est pourquoi j’ai approché le ciseau de mon œil droit, c’est pourquoi avec ma main libre j’ai tiré sur ma paupière supérieure, c’est pourquoi le ciseau a lentement tranché la chair sous mon sourcil avant de recommencer avec l’autre paupière. Le sédatif, la semi-réalité dans laquelle je nageais, mon immense volonté m’ont aidé à ne pas succomber à la douleur, m’ont aidé à accomplir mon souhait le plus cher, être toujours éveillé afin de voir venir le marchand de sable Rouge.

Après ça, la seule chose dont je me souviens a été le regard horrifié de mon père en voyant mon visage couvert de sang séché et mes yeux exorbités. Quant à la belle-mère, son cri d’horreur a provoqué chez moi un fou rire si long que je me tordais toujours de rire sur mon lit d’hôpital…  
  
Suite dans « le Découpeur de paupières (1) »




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samedi 19 mai 2018

Le marchand de sable Rouge (1/2)



Le soir devant la télé, ma mère me disait souvent :
- Le marchand de sable va passer, il est temps d’aller dormir mon chéri.
Allongé dans mon lit, alors que j’avais les yeux qui piquaient, elle rajoutait :
- Le marchand de sable est en train de passer, tu vas bientôt t’endormir Joffrey.
Une fois, je lui ai demandé pourquoi je ne voyais pas le marchand de sable : 
- Car il est invisible mon fils.
- Alors c’est pour ça que les yeux me piquent et que je ne vois pas qui me fait ça ?
- Exactement mon chéri, bonne nuit, maman t'aime.

Sur ce, elle m’embrassait le front et éteignait ma lampe de chevet. Ces moments étaient vraiment très agréables, je m’endormais en toute sérénité, persuadé que le marchand de sable était le gentil magicien de mon sommeil.

Et puis il y a eu ce soir où j’ai catégoriquement refusé de me mettre au lit. La télé était en panne et seule les émissions télé étaient capable de calmer mon trouble de l’hyperactivité. Ma mère m’a grondé et m’a dit :

- Si tu ne vas pas au lit tout de suite, le marchand de sable rouge va se fâcher tout rouge ! 
Je ne sais pas vraiment pourquoi, ce soir-là j’ai stoppé net mes incessantes gesticulations alors qu'il me fallait parfois une demi-heure pour me calmer.
- Mais non, il est gentil le marchand de sable, c’est pas possible ça.
- Il est gentil avec les enfants gentils, mais aux enfants turbulents, il leur jette du sable rouge dans les yeux !
- Du sable rouge ?
- Oui, du sable rouge qui pique très fort les yeux, m’a-t-elle dit d’une voix passablement énervée.

Comme j’ai vu qu’elle ne plaisait pas, je me suis jeté dans mon lit puis j'ai remonté ma couette jusqu’au front. Estimant sans doute qu’elle avait été trop loin, ma mère a dit plus doucement :
- Joffrey, tu es un enfant sage toi ?
- Bien sûr que oui, ai-je répondu depuis le dessous de ma couette.
- Alors il ne te jettera jamais du sable rouge.

Sa voix tremblotante m’a rassuré, ma mère devait regretter ses propos. Mais moi, je tremblais sous ma couette.

- Si tu l’as dit, tu le connais le marchand de sable rouge, il va passer cette nuit et va me faire très mal aux yeux !
- Mais non je…enfin ce n’est pas vrai, j’ai inventé ça pour te faire peur.
- Pas vrai, il va venir prendre mes yeux !
- Mais non, arrête de dire ça, personne ne va venir.
- Si, il va venir me les arracher ! ai-je hurlé comme un fou.

Elle a tenté de retirer ma couette, mais je la tenais fermement dans mes poings crispés.

- Si tu l’as dit ! ai-je persisté mort de trouille, si tu l’as dit, si tu l’as dit ! ai-je répété plein de fois à la suite.
- Bon, maintenant ça suffit Joffrey, regarde-moi où je ne te fais pas le bisou du bonne nuit !

Ne pas avoir un bisou de ma mère était encore plus effrayant que ce marchand de sable rouge et j’ai brusquement baissé la couette. Finalement, j’ai serré ma mère très fort contre moi. J’étais tellement terrorisé que j’en tremblais. Constatant mon état, ma mère m’a autorisé à dormir dans son lit ce soir-là mais aussi les suivantes. Dois-je aussi préciser que je me tenais presque sage comme une image une bonne heure avant de dormir pour avoir ce privilège ?

Quelques nuits après j’ai eu l’obligation de retrouver mon lit. La première nuit a été affreuse, je me réveillais en sursaut au moindre bruit. Les voisins avaient un chien qui semblait n’aboyer que la nuit, comme s’il voyait ou reniflait quelque chose d’effrayant. Parfois, je l’entendais hurler à la mort. Comme par hasard, cette nuit où j’ai retrouvé mon lit, le chien a hurlé à la mort. J’ai commencé à m’imaginer que le marchand de sable lui jetait du sable rouge, lui crevait les yeux avec ses ongles ou le frappait avec ses pieds pointus, car parfois, le chien couinait.

Une autre nuit, alors qu’une violente tempête soufflait, le crochet de mes volets a cédé et ils ont violemment percuté le mur extérieur. Je me suis réveillé en sursaut, complètement paniqué, surtout que les volets continuaient à frapper fort contre la fenêtre et le mur. C’est alors que j’ai aperçu une silhouette blanche avec un gros ventre. Elle était assise sur une branche du vieux chêne derrière ma fenêtre. Les yeux rouges de la silhouette ont brillé un instant, le volet a claqué, s’est rouvert et la silhouette au gros ventre avait disparu. Une main ferme m’a agrippé le bras, j’ai hurlé. C’était mon père ! Il m’a dit de me calmer, que ce n’était qu’une tempête et a réussi à refermer les volets. Vingt secondes plus tard, j’étais dans leur lit, serrant ma mère de toutes mes forces entre mes petits bras tremblotants.  

Mon histoire aurait pu s’arrêter là si deux ou trois ans plus tard, alors que je ne croyais plus au marchand de sable et que j’avais quasiment oublié cette silhouette blanche derrière ma fenêtre, un copain m’a demandé si je connaissais l’autre version du marchand de sable, celle du marchand de sable rouge. Je devais avoir onze ans à l'époque, je faisais une tête de plus que mes camarades, j'étais le plus fort de la cour de récré et pourtant, j’ai ressenti un vrai malaise quand j’ai entendu « sable rouge ». Un mauvais pressentiment me soufflait de ne pas écouter cette histoire. Toutefois, je ne pouvais pas me dégonfler devant lui, c'était moi le chef. J’ai donc pris sur moi, je lui ai dit qu’il pouvait me la raconter son histoire pour bébé.   

"Le marchand de sable rouge est le frère du marchand de sable blanc, celui qu’on connait tous. Ils voyagent toujours à deux, endorment les enfants ensemble, passant de maison en maison à une vitesse difficilement imaginable. Beaucoup de gens croient que le marchand de sable rouge s’occupe des gosses difficiles, ceux qu’ils ne veulent pas dormir, les hyper-excités, mais ce n’est pas exactement ça.

Il arrive que dans leur tournée du sommeil, les deux marchands de sable soient séparés pour d’obscures raisons, mais celles dont on parle le plus sont la vitesse et les éclairs des orages. Se retrouvant seul, le marchand de sable rouge n’est plus sous l’influence bienfaitrice de son frère et c’est à ce moment-là qu’il laisse éclater sa vraie nature.

Le marchand de sable rouge qu’on surnomme tout simplement Rouge, retourne en arrière dans sa tournée, choisit un enfant qu’il n’avait pas aimé et, perché sur une branche, un toit ou un rebord de fenêtre, le regarde dormir, préparant son mauvais coup. Contrairement à ce qu’on pourrait croire, le marchand de sable rouge ne serait pas rouge, mais blanc. Seuls ses yeux, ses dents et le sable magique sont rouges".      

Moi aussi j’étais blanc, mais j'étais blanc de peur. L’image de cette silhouette au gros ventre assis sur la branche du vieux chêne un soir d’orage m’est revenue à l’esprit. Ce que j’avais vu, c’était bien le marchand de sable rouge qui devait m'observer pendant mon sommeil ! Très angoissé, j’ai toutefois gardé un petit rictus pour montrer à mon copain que je n’avais pas peur, ce qui était totalement faux.

"Le Rouge a de petites jambes tordues, des pieds minuscules, un ventre rond et de longues mains osseuses qu’il plonge dans sa poche ventrale pour prendre du sable rouge. Quand il est en présence de son frère, son sourire est bienveillant, quoi qu’effrayant, mais lorsqu’il est seul, un grand sourire sadique s’affiche sur son visage hideux, balafré de cicatrices faites par des enfants qui se sont vaillamment défendues. Des plaies purulentes suintent de son crâne chauve. Enfin, sa peau farineuse est couverte de furoncles. Le marchand de sable Rouge porte un vêtement blanc qui serre son corps difforme, une petite blouse de médecin d’après ceux qui l’ont vu. Une poche ventrale, comme celle d’un kangourou, contient le sable rouge.  

On ne sait pourquoi le marchand laisse certains enfants tranquilles tandis qu’à d’autres, il glisse sur le plafond de leur chambre et s’arrête au-dessus de leur lit. Ses yeux globuleux l’observent de longues minutes puis il pousse un petit rire cynique et jette du sable rouge sur son visage. Ce dernier se réveille en pleurant, tente d’ouvrir les yeux, mais ceux-ci sont collés par le sable qui a fondu au contact de la peau. Les joues de l’enfant se fendillent et son nez saigne abondamment. Rouge se jette alors sur l’enfant et lui plaque une main sur la bouche puis il lui cogne violemment sa tête contre le mur derrière l'oreiller. Si un parent a entendu les boums contre le mur, il arrive parfois qu’il sauve son enfant. D’autres fois, c’est le gentil marchand de sable qui secourt l’enfant, le rendort et le guérit avec du sable scintillant. Cet enfant se réveillera le lendemain et croira avoir fait un horrible cauchemar. Si personne ne vient au secours de l’enfant pris entre les longs doigts de Rouge, alors les parents le retrouveront mort au petit matin, le visage gonflé, l’arrière du crâne éclaté, les os brisés…"   

J’ai regardé mon ami de longues secondes, j’ai espéré un sourire, un truc rassurant, mais rien n’est venu atténuer la peur qui me rongeait l’âme et les tripes. Pire encore, il souriait sadiquement, comme s’il avait pris plaisir à me raconter cette horreur. Bien entendu, j’ai joué au dur à cuire, j’ai dit que je n’avais pas eu la frousse une seule seconde, mais je n’avais qu’une hâte : me réfugier dans les bras de ma mère. La sonnerie de la récré a retenti et d’un pas pressé j’ai rejoint ma classe.

Mon pote m’avait raconté son histoire après le déjeuner de midi. Jamais une après-midi ne m’a paru aussi longue, toutes les minutes je regardais ma montre et je comptais le temps qui me rapprochait de ma mère. À deux reprises, la maîtresse m’a demandé si ça allait, m’a trouvé plus pâle que d’habitude, a constaté la sueur froide qui coulait sur mon front. J’ai encore joué au dur à cuire, je lui ai dit que tout allait bien, surtout que mon pote était assis à côté de moi et m’aurait traité de poule mouillée s’il avait compris les raisons de mon malaise.

Je suis rentré chez moi en courant. Heureusement je n’habitais qu’à trois rues de l’école, dans un modeste pavillon accolé à un autre. Ma mère était dans la cuisine. Je lui ai sauté dessus et l’ai serré fort dans mes bras en tremblant comme une feuille. Je frissonnais, je claquais des dents, je me sentais vraiment très mal. Affolée, elle m’a demandé ce que j’avais, mais j’étais incapable de lui fournir la moindre réponse.  

Le docteur est arrivé une heure plus tard, m’a ausculté, n’a rien trouvé hormis un important état de stress. Il m'a prescrit un calmant ; on a été le chercher à la pharmacie, car je ne voulais pas rester seul à la maison. Mes tremblements se sont arrêtés une dizaine de minutes après l’ingestion du cachet. C’est à ce moment-là que je lui ai raconté l’histoire de Rouge, SON marchand de sable rouge puisque c'était ma mère qui m'en avait parlé en premier !

Effrayée, ma mère n’en revenait pas qu’un gamin connaisse une histoire aussi sordide. Elle a voulu téléphoner aux parents de mon pote, mais, sans que je pourquoi, ne l’a pas fait. J’ai eu l’impression qu’elle jouait la comédie, qu’elle me cachait la vérité, qu’elle connaissait cette histoire et me faisait croire que non ! C’était elle qui m’avait parlé du marchand de sable Rouge, ELLE, ELLE, ELLE, pas mon pote !

Je crois que mon premier vrai acte violent date de cette période. Ma pauvre mère n’a pas compris mon brusque changement d’attitude, les objets que j’ai jetés sur elle, ma crise de nerfs qui n'avait rien à voir avec mon hyperactivité. Mon père est arrivé à ce moment-là, et je crois bien avoir pris la raclée de ma vie. Le pire, c’est qu’une fois calme, je ne comprenais pas pourquoi je m’étais énervé contre ma mère qui avait toujours été très gentille avec moi. Et puis j’ai eu ce que je méritais, ils ont refusé que je dorme avec eux cette nuit-là. J’étais complètement terrorisé à l’idée de dormir seul dans ma chambre, j’étais persuadé que Rouge allait revenir ! Oui, revenir, j’étais maintenant d’une chose :  la silhouette au gros ventre que j’avais vue quelques années plus tôt, c’était lui, ça ne pouvait être que LUI, Rouge allait revenir !  

Comme de fait exprès, cette nuit-là, un violent orage a éclaté au-dessus du village. Pour moi, c’était une évidence, un éclair allait séparer les deux marchands de sable ; le mauvais allait glisser sur le plafond, s’arrêterait au-dessus de mon lit, me regarderait dormir avec ses gros yeux rouges, attendant le meilleur moment pour me jeter du sable au visage puis tomberait sur moi, me frappant, me rouant de coups, m’écrasant le crâne contre le mur.

« C’est pour ce soir, le marchand de sable viendra te voir, c’est pour ce soir, prend garde à Rouge ! »Je n’entendais plus que ça dans ma tête. Une fois au lit, je me suis rendu compte que je n’avais pas fermé mes volets. Des éclairs zébraient ma chambre, la pluie frappait les carreaux, les branches derrière la fenêtre ressemblait à de grandes griffes grattant le mur comme si elles voulaient rentrer dans ma chambre.

Si mon père n’est pas venu me souhaiter une bonne nuit, ma mère a fait cet effort. Bien sûr, je regrettais ma colère, je me suis excusé, je l’ai longuement serré dans mes bras, mais ma mère ne bougeait pas, j’avais l’impression de serrer une statue. En fait, elle n’était pas venue me souhaiter bonne nuit, elle était venue me donner un verre d’eau avec un calmant.

- Avale-ça, m’a-t-elle sèchement dit, tu dormiras à poings fermés et tu ne feras pas de cauchemar.
- Je n’en ai pas besoin, ai-je répondu la voix pleine de trémolos.
- Obéis petit monstre ! m’a lâché ma mère.

J’ai encore ressenti un mauvais truc en moi, car je trouvais injuste qu’elle me dise ça. C’était elle le monstre, elle qui m’avait parlé de Rouge la première ! De plus, pourquoi voulait-elle que je dorme à poings fermés ? S’est-elle un instant imaginé l’horreur qui m’attendait si Rouge me regardait dormir depuis mon plafond ? En avait-elle une seule seconde conscience ?

J’ai pris le cachet, l’ai mis dans ma bouche, l’ai caché sous ma langue avant d’avaler deux gorgées d’eau. Après un détestable « hum », ma mère a éteint ma lampe de chevet et a quitté la chambre sans me faire le bisou du bonne nuit !

- Et mes volets ! ai-je crié.
- Ferme-les toi même !

Elle a claqué la porte, me laissant seul avec mes peurs. J’ai recraché le cachet, j’étais prêt à ne pas dormir de la nuit, j’étais persuadé que Rouge allait me fracasser le crâne contre le mur. J’ai bondi jusqu’à mon cartable et à l’intérieur de ma trousse, j’ai pris ma paire de ciseaux pointus puis je suis retourné dans mon lit. Si Rouge voulait me défigurer, je lui réservais aussi une petite surprise !

Allongé sous ma couette, serrant d’un poing ferme le ciseaux, le regard fixé sur la fenêtre, je ne bougeais pas un pouce. Les branches continuaient à griffer ma vitre, le vent sifflait contre la façade, les éclairs illuminaient brièvement les meubles de ma chambre, la porte entrouverte de mon placard…entrouverte ? S’il y a une chose que je fermais tout le temps, c’était bien de fermer cette fichue porte qui au moindre courant d’air grinçait sinistrement !


Au moment où je me suis levé, un grincement a brisé mon élan...

Retrouvez de suite la partie 2.




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