Je suis né un 4
juillet, le jour de l’Indépendance. Mon histoire commence quelques jours après
mon anniversaire. J’avais reçu le cadeau de mes rêves, la première poupée dite
« intelligente ». Elle s’adaptait à la personnalité de sa propriétaire
et répondait par des phrases gentilles ou amusantes. C’est vrai, la poupée n’était
pas très belle, avait une apparence vieillotte mais je l’aimais. Et puis ma
poupée s’est mise à parler. Enfin elle me parlait déjà, mais de sa bouche en
porcelaine est sortie une insulte. J'étais terrifiée, je me suis précipitée dans
la cuisine où se trouvait Anaïs, ma mère.
- Maman, maman, la
poupée elle parle !
- Bien sûr Léa, Natacha est une poupée
très intelligente.
- Non, elle dit des trucs méchants
qu’elle disait pas avant !
- Ta poupée dit tout ce que tu veux bien
entendre ma chérie.
- Mais elle m’a dit que tu es une salope !
Ma mère a sursauté. On était dans la
cuisine, sa cuillère est tombée dans la grande marmite.
- Comment ça ? s’est-elle exclamée,
horrifiée.
- Oui, je la berçais contre moi, puis
elle m’a dit « ta mère est une salope ! » Après elle a ricané ! Je
déteste son rire, je la déteste !
J’ai jeté la poupée par terre ; un
craquement s’est échappé de son corps et un petit rire interrompu m'a glacé le
sang.
- Enfin Léa, c’est impossible.
- Non, j’ai très bien entendu, ai-je
persisté, tu es une salope qu’elle a dit Natacha.
Natacha était le nom de ma poupée. Ma
mère a écarquillé les yeux avant de s’avancer brusquement vers moi. La claque a
fait un bruit retentissant, comme un coup de fouet. Sur le coup, j’ai haï ma
mère de m’avoir frappé. Je me suis mise à pleurer tandis que Natacha continuait
à rire cyniquement.
Le soir de cette horrible journée, comme
pour me punir, ma mère a posé ma poupée sur la chaise face à mon lit alors que je
voulais la jeter.
- C’est un cadeau de mamie, tu la
gardes ! a dit ma mère toujours fâchée.
Elle m’avait envoyé me coucher juste
après le souper. J’étais aussi en colère contre elle puisqu’elle ne me croyait
pas. Face à mon lit, dans la semi-obscurité de ma chambre, je voyais briller
les yeux en porcelaine de ma poupée. Quand ils ont bougé, j’ai mis mon oreiller
sur la tête, ce qui ne m’a pas empêché d’entendre une petite voix terrifiante
dire :
- Tu m’as fait mal, tu sais.
Je n’ai pas répondu, je tremblais de
tout mon corps.
- Je crois même que tu m'as cassé les deux
bras et le ventre.
J’ai plaqué mes mains contre mes
oreilles en poussant un cri. Pourtant, je continuais à entendre sa petite
voix aigrelette :
-
Ce n’est pas bien d’avoir fait ça car je t'ai dit la vérité.
-
Non, tu mens, TU MENS ! ai-je hurlé dans l’oreiller.
-
Je suis programmé pour ne pas mentir, pour dire ce qui est et ce qui n’est pas.
Je
n'ai pas trop compris son charabia. J’ai entendu une masse tomber sur le
parquet stratifié de ma chambre puis de petits pas rapides m’ont littéralement
terrifié. La sensation que quelque chose grimpait sur mon lit m’a encore fait
hurler. Ma mère est alors entrée dans ma chambre.
-
Que se passe-t-il encore ici ?
-
La poupée, elle est montée sur mon lit ! ai-je crié en me redressant.
-
Comment ça ?
Malheureusement,
ma poupée n’avait pas bougé, toujours assisse sur la chaise face à mon lit. Une
petite lueur rouge brillait dans ses yeux de porcelaine.
-
Ne dis pas de sottises Léa et rendors-toi, demain tu as école.
Elle
m’a bordé, m’a embrassé sur le front. Sa peau dégageait cette odeur détestable,
une odeur de sueur et d’autre chose de dégoutant. Et puis sa chemise de nuit était
presque transparente, je voyais sa nudité à travers. Quand mon père était là,
elle portait un pyjama en coton. Dès qu’elle a refermé la porte, j’ai entendu :
-
Tu as senti l’odeur de ta mère, c’est l’odeur d’une salope !
Sidérée
par ses propos, je suis restée muette et me suis réfugiée sous mon oreiller.
-
Dès que tu dors, elle baise avec d’autres types !
-
C’est faux ! ai-je hurlé.
-
Faux ? Comment peux-tu le savoir puisque tu dors quand elle s’envoie en l’air
avec tous ces hommes !
J’ai
toujours eu des doutes sur les activités de ma mère quand mon père s’absentait,
mais je continuais à le nier. Un ploc a ébruité le parquet puis des petits pas
rapides se sont de nouveau fait entendre. Quelque chose a tiré sur la couette
puis mon matelas s’est légèrement enfoncé. Mes cris se perdaient dans l’oreiller
contre ma bouche.
-
Dès que ton père part sur la route, elle ne pense qu’à ça !
La
voix était si proche, si proche de moi que j’avais l’impression qu’elle était
dans ma tête. Le matelas a commencé à bouger, Natacha sautillait entre mes
jambes.
-
Va voir si tu ne me crois pas !
Ma
poupée s’exprimait comme une petite fille, conformément aux promesses de cette publicité
à la télévision. Toutefois, j’étais loin de m’attendre à ce que Natacha devienne
vulgaire et qu’elle sautille sur mon lit !
-
Arrête ! ai-je crié en me redressant.
Et
je l’ai vue comme je voyais un chat qui traversait la rue, j’ai vu ce halo
rougeâtre autour de son petit corps de poupée en porcelaine, ce rictus qui
déformait son visage, ses sourcils froncés, ses yeux qui semblaient exprimer
une colère noire.
-
Pense à ton pauvre papa. Que dirait-il s’il voyait ta mère faire ces horreurs avec
d’autres hommes ?
Elle
ne m’a pas laissé répondre, elle s’est approchée et a chuchoté à mon
oreille :
-
Il se vengerait ma petite Léa, il se vengerait de ta salope de mère.
C’en
était trop. J’ai voulu attraper Natacha par le cou et...mes mains n’ont
rencontré que le vide. La poupée était toujours assise sur sa chaise, un petit
rictus niché au coin de ses lèvres purpurines.
Malgré
une nuit blanche, j’ai eu hâte d’aller à l’école. J’y ai retrouvé Noémie, ma
meilleure copine. On a parlé de nos poupées intelligentes, car ses parents lui
en avaient aussi offert une. Enfin elle, c'était pour ses bonnes notes
contrairement à moi qui n'étais pas très bonne élève. Noémie m’a ri plusieurs
fois au nez quand je lui ai dit que ma poupée marchait et qu’elle disait des
choses pour le moins étranges.
-
Arrête de dire n’importe, ce n’est pas possible, la mienne dit toujours la même
chose et ne marche pas !
Soit
elle était jalouse, soit elle disait la vérité et j’avais un sérieux problème
avec Natacha. Pour ne pas compliquer notre relation, je lui ai dit que ma
poupée connaissait des dysfonctionnements.
Je
n’habitais qu’à quelques rues de l’école et je rentrais chez moi à pied. Sur le
chemin du retour, je songeais à la meilleure façon de me débarrasser de
Natacha. Je ne pouvais plus garder une poupée qui disait des mensonges sur ma
mère. Toutefois, elle avait raison sur un point : il se passait des choses
étranges dans sa chambre quand mon père n'était pas là.
Le
mot « salope » tournait en boucle dans ma tête quand j’ai poussé la
porte d’entrée de ma maison. L’idée de revoir Natacha ou seulement d’entendre sa
voix me tordait les tripes. Ma mère rentrait toujours de son travail trente minutes
avant moi, ce qui lui laissait le temps de préparer mon goûter. À peine suis-je
entré dans la cuisine qu’elle m’a demandée :
-
Tu as posé Natacha sur ta chaise avant de partir à l’école ce matin ?
J’ai
écarquillé les yeux ; la poupée avait non seulement pris ma place, mais
elle s’y était sans aucun doute rendue toute seule ! Un rictus narquois déformait
ses lèvres purpurines.
Une
boule a gonflé dans ma gorge puis de grosses larmes ont coulé sur mes joues.
Voyant mon état, ma mère m’a enlacé contre elle et en caressant ma tignasse
blonde, elle m’a demandé :
-
Allons, que se passe-t-il en ce moment ma grande fille ?
Triste
comme jamais, je n’ai pas pu lui répondre. De plus, sa peau dégageait cette
odeur que je détestais tant. Alors que la cuisine s’était perdue dans le flou
de mes larmes, une vision m’a coupé le souffle, celle d’un mouvement depuis ma
chaise. Puis il y a eu une chute sur le carrelage avant que de petits pas
viennent me faire hurler.
-
Allons, qu’y a-t-il encore ma chérie ?
D’un
doigt tendu, je lui ai montré ma chaise. Ma mère s’est retournée et…rien, la
poupée n’avait pas bougé, me regardant toujours avec son petit air narquois.
-
Je la déteste, je n’en veux plus, tue-la !
-
Comment ?
La
violence de mes mots m’avait échappé, je n’ai jamais voulu vraiment dire ça.
-
Elle n’arrête pas de me dire que tu es une salope !
-
Oh arrête de dire cette grossièreté ! s’est fâchée ma mère.
-
Salope, salope ! a soudainement crié Natacha.
Ma
mère s’est brusquement retournée vers la chaise.
-
Tu vois, c’est elle qui te traite de salope !
-
Je…mais…enfin, non j’ai cru que…enfin c’est impossible, c’est toi qui…
Je
n’en revenais pas, ma mère m’accusait bel et bien !
-
Salope, salope, a répété Natacha.
Une
claque a résonné dans la cuisine. Pour la seconde fois, ma mère m’a frappé. Mes
pleurs se sont mélangés au petit rire cynique de la poupée. Je me suis
précipité dans ma chambre, j’ai claqué la porte et j’ai refusé de descendre souper.
J’ai fini par m’endormir et je ne sais plus trop quelle heure il était quand
j’ai entendu des gémissements…
Ma
porte était grande ouverte alors que d’habitude, ma mère prenait bien soin de
la fermer.
-
Tu entends ta salope de mère ?
J’ai
échappé un cri bref. Natacha se tenait assisse au bord de mon lit, le dos bien
droit, sa petite tête tournée vers moi. Ses yeux perfides brillaient dans le
noir.
-
Elle déshonore ton père et te déshonore par la même occasion. Que pensera
Noémie quand elle saura que ta mère est une salope ?
-
Elle ne le saura jamais, ai-je timidement répondu.
-
Ne sois pas idiote, bien sûr qu’elle le saura ! Maëva ne sait pas tenir sa
langue.
-
Qui est Maëva ?
-
La poupée intelligente de ta meilleure copine bien sûr ! Nous communiquons
par télépathie !
-
Pfff, ça n’existe pas la télépathie.
-
Oui, ça n’existe pas petite sotte…tout comme les poupées intelligentes !
Tu verras bien demain à l’école, quand Noémie te dira que tu es une fille de
pute !
-
Elle ne dira jamais ça !
-
Tu paries ?
-
Non ! Et puis tu m’énerves ! Je vais le dire à ma mère que tu dis
n’importe quoi !
-
Hi hi, elle ne te croira pas et puis tu vas la voir à poil, car elle se fait
sauter par son patron ! À moins que ce soit son assistant ? Ou peut-être
l’un des employés ?
J’ai
sauté du lit, mais au moment de courir vers sa chambre, les gémissements de ma
mère m’ont stoppé. Je ne savais pas trop ce qu’était l’amour, mais ma meilleure
copine m’avait expliqué quelques détails, notamment les petits cris de la
femme.
-
Ta mère déshonore sa famille ! Entre nous, je ne voudrais pas être à ta place,
je n’irai même plus jamais à l’école ! Tout le monde va te traiter de
fille de pute !
C’est
ce que j’ai fait, je n’ai pas voulu aller à l’école le lendemain, mais ma mère
s’est fâchée et m’a encore claqué, car je m'étais mise à crier comme une folle
et à me débattre comme une petite fille ayant le diable au corps. Pire, ma
meilleure amie m’a évité de toute la journée. Elle savait. Je n’avais plus
personne à qui me confier, hormis à mon étrange poupée qui d'une certaine
façon, devenait ma nouvelle amie.
-
Alors, tu vois bien, je te l’avais dit pour ta copine et bientôt tu seras toute
seule, toute seule comme une sale punaise sur un matelas moisi !
m'a-t-elle dit sitôt après être rentré de l'école.
J’ai
craqué, j’ai longtemps pleuré jusqu’à ce que je m’endorme de fatigue. Je me
suis réveillée en pleine nuit. Natacha était assise au bord du lit, ses yeux de
porcelaine fixés sur moi. Sa bouche se tordait d’un affreux rictus, ses traits
haineux me terrifiaient. Un éclat a brièvement brillé sur ses genoux.
-
Tu vois, m’a-t-elle dit, je veille sur toi tandis que ton affreuse mère se fait
sauter une dernière fois avant que ton père ne revienne.
Effectivement,
par la porte ouverte de ma chambre, les gémissements de ma mère faisaient écho
au silence de la maison. Ça me mettait vraiment mal à l’aise, je me sentais
impuissante et totalement désemparée.
-
Quand ton père apprendra que ta mère est une salope, il est certain qu’il va la
tuer.
-
Quoi ? ai-je pleurniché.
-
Cela ne fait aucun doute, et puis comme il aime beaucoup ta mère, il se
suicidera et tu te retrouveras toute seule.
-
Non, je ne veux pas ça ! ai-je paniqué.
-
C’est une évidence, tu iras à l’orphelinat où il y a plein de rats
dégoutants !
-
Non, je ne veux pas !
-
Alors tue-la !
J’ai
été tellement stupéfait de cette proposition que mes larmes ont arrêté de
couler sur mes joues.
-
Quoi ?
-
Oui, comme ça ton père aura sauvé son honneur, n’ira pas en prison, et comme toi
tu es trop jeune pour y aller, tu pourras continuer à vivre avec lui !
-
Mais, mais…je ne veux pas tuer ma mère et…et puis je trop petite et puis…et…
-
Et patati, et patata ! Bon, très bien, je vais le faire à ta place !
Ma
poupée a sauté du lit. Le petit éclat sombre a de nouveau brillé. Dans sa main
droite, Natacha tenait un couteau de boucher. Stupéfaite, je pensais naviguer
en plein cauchemar, voyant le petit corps de ma poupée trainer derrière elle le
lourd couteau dont la pointe raclait la moquette. Elle se dirigeait vers la
chambre de mère...
Hormis
les cris, je ne me souviens plus de cette dramatique soirée où ma vie a totalement
basculé. La police m’a retrouvée couverte de sang avec le couteau de boucher dans
une main et ma poupée désarticulée dans l’autre. Oui, désarticulée, elle était
complètement cassée. Parait-il qu’elle était comme ça depuis le début, depuis
que ma grand-mère me l'avait soi-disant léguée à sa mort. Les psys ont dit que j'en avais
fait une poupée intelligente et que sa voix était dans ma tête, uniquement dans
ma tête. Parait-il que c’est la voix du mal, celle que beaucoup de gens
entendent mais n’écoutent pas, contrairement à moi. Ils m’ont aussi dit que j’étais
consanguine, que mon père était le cousin de ma mère. Je ne le savais pas, je
ne l’ai jamais cru, comme je n’ai jamais cru que ma mère ait été seule cette
nuit-là, seule à se faire plaisir comme une salope…
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2018@Gebel de Gebhardt Stéphane.
Ce texte est libre de partage.
Tu as une de ces imaginations !
RépondreSupprimerJ'aimerais en avoir tant ^^
C'est fort ! En fait tout ce que la poupée lui disait, dans le fond c'était de sa seule pensée...
Ce que j'aime bien dans ce genre d'histoire c'est que si on préfère vraiment la version paranormal, on peut se dire qu'elle n'a rien inventée et que l'esprit démoniaque a quitté la poupée (lui rendant cette apparence à la fin) pour piéger une autre petite fille dans une autre poupée
(Désolée pour mon retard mais vu que je prépare deux voir trois vidéos, ça me fait beaucoup de dessins à faire ^^" Sur Youtube je peux appuyer sur play, écouter et dessiner en même temps ;) )
Merci de laisser ton avis car cela m'aide à connaitre les points de vues des lecteurs. Effectivement, je n'avais pas penser à l'esprit démoniaque ! Comme quoi ! J'ai vu que tu avais commenter Matthew, je te répondrais un peu plus tard dans la semaine car mes yeux se ferment déjà et boulot boulot à 6h. Mes amitiés.
SupprimerMais je t'en prie ^^ Je sais que ça fait toujours plaisir d'avoir des retours (qu'ils soient constructif ou qu'ils montrent juste qu'une personne s'est intéressé jusqu'au bout à ce que l'on a partagé)
SupprimerPas de soucis :) Prends le temps qu'il faut
Et si j'oublie de vérifier (étant donné que je ne reçois pas de notif en cas de réponse) tu pourras me signaler que tu m'a répondu sur Twitter ;)
Je te souhaite donc une bonne semaine l'ami :)
Et je te comprend moi aussi à 02h17 je tombe de fatigue XD
Ok j'ai répondu à tous tes commentaires d'une pertinence impressionnante ! bravo et merci de suivre cette histoire, je te twuitte...
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