samedi 18 février 2017

Aneki




Aneki… Aneki… je frissonne toujours en pensant à elle. Cinquante ans, c’était il y a cinquante ans et c'est comme si c’était hier. Mais comment aurais-je pu oublier les évènements les plus traumatisants de ma vie ?


Madame Garreau, notre maîtresse, nous l’a présenté par un froid matin d’hiver. C’était juste avant le début d’un cours de mathématiques, en CM2. Elle arrivait d’Osaka au Japon et venait d’emménager dans notre village. Longs cheveux noirs, visage pâle, cernes sous les yeux et joues creuses, Aneki n’était pas très jolie. Je dirais même qu’elle était inquiétante avec son pantalon serré qui soulignait la maigreur de ses jambes et son ample chemise dont le bras droit était replié dessous, en écharpe. Même si la maîtresse nous avait demandé d’être sympas avec elle, les petits rires méchants fusaient déjà dans la classe. Moi je ne riais pas, je ne me suis jamais moqué de personne et c’est peut-être pour ça que la maîtresse l’a assisse à côté de moi. Il est inutile de vous expliquer que j’étais plutôt mal à l’aise. Absorbé par son visage, je ne m’étais pas rendu compte combien elle était grande. Le sommet de mon crâne lui arrivait à peine à l’épaule ! De son seul bras valide, elle a déballé ses affaires en silence et puis j’ai entendu quelque chose de très étrange : les gargouillements de son ventre… 

Aneki était toujours la première arrivée en classe et la dernière à en sortir. Son matériel scolaire était toujours impeccablement disposé sur la table quand j’arrivais le matin (souvent le dernier, je l’assume) et en fin d’après-midi elle attendait que tout le monde soit sorti pour les ranger.

Aneki ne parlait à personne et personne ne lui parlait. Tout le monde s’en fichait d’Aneki, personne ne cherchait à être ami avec elle et Aneki ne cherchait à être amie avec personne. Peut-être que son silence, son attitude figée au milieu de la cour de récréation, ses grands yeux sombres posés sans interruption sur quelqu'un décourageaient les filles de l’approcher. Les garçons s’en moquaient, mais de loin, ils avaient bien trop peur que la grande Aneki les suive jusqu’à chez eux et s’introduise en pleine nuit dans leur chambre pour leur faire Dieu sait quoi !

Aneki rentrait déjeuner chez elle, mais bizarrement, l'après-midi, j’entendais toujours les gargouillis de son ventre, comme si elle n'avait rien mangé. Une, peut-être deux semaines après son arrivée, un peu avant midi, j’ai pour la première fois entendu le son de sa voix. Brrr, j’en frisonne encore. Sa voix était faible, presque agonisante. Inutile de vous dire que j’ai poliment refusé son invitation à déjeuner, prétextant que ma mère m’attendait tous les midis, et ce, jusqu’à la fin de l’année scolaire ! Elle m’a répondu un long « dommageeeee » puis ne m’a plus jamais posé cette question. D’ailleurs, elle ne m’en a plus jamais posé du tout, et c’était très bien comme ça, car je peux vous l’avouer sans honte, elle me fichait une chiasse du diable cette Aneki !

La première disparition d’un enfant de l’école a eu lieu début mars, soit trois semaines après son arrivée. Le village était sens dessus dessous. La jeune victime était au CP, une jolie petite blonde rondouillarde, la meilleure copine de ma jeune sœur, Noémie.  On a retrouvé son corps quelques jours plus tard, dans le bois proche du village. Enfin, on a juste retrouvé des os cassés, mordillés ou sucés. Une sorte de couvre-feu a été déclarée pour les enfants avec ordre de ne plus sortir de chez eux après l’école.

Les jours qui ont suivi l’enlèvement de la petite fille ont vraiment été pesants. Tous les rires des enfants semblaient avoir quitté l’école et les parents avaient le visage fermé. C’est à ce moment-là que j’ai commencé à me douter de quelque chose quand j’ai aperçu le petit sourire en coin d'Aneki. Elle qui n’avait jamais souri avant la disparition de la fillette semblait plus heureuse. En plus, je faisais une fixation sur son bras sous sa chemise. Dès que je pouvais, je regardais à cet endroit. Parfois, j’apercevais un bref mouvement et j’avais l’impression que de petits doigts ou de petites griffes glissaient sous sa chemise. Parfois, elle sentait que je l’observais et tournait brusquement la tête. Ses yeux sombres étaient effrayants, mais je lui faisais toujours un petit sourire pour la rassurer. En tout cas, je ne voulais plus rester à côté d’elle, car je commençais réellement à faire de grosses crises d’angoisse. De plus, je trouvais que ses vêtements dégageaient une odeur de terre mouillée. J'ai alors pensé qu'elle dormait dehors ou qu'elle couchait dans une maison humide. Mais peut-être que je me faisais des idées, peut-être que mon cerveau gambergeait trop depuis la disparition de la petite ? 

Ma mère a fini par obtenir mon changement de place. David, mon meilleur pote, a pris la mienne et s’est retrouvé à côté d’Aneki. Mais je n’étais pas mieux loti puisque je me suis retrouvé juste devant elle ! Inutile de préciser qu’au final, j’aurais préféré rester à ma place d’avant, car avoir Aneki dans le dos n’avait rien de rassurant. Dès que je sentais des picotements dans mon dos, des frissons parcouraient ma colonne vertébrale et je m’attendais à ce que cette mystérieuse main droite m’attrape la nuque et m'arrache les vertèbres cervicales. J’en faisais de terribles cauchemars. Quelques jours après mon changement de place, je me suis rendu compte d’autre chose : je n’entendais plus gargouiller son ventre. L'aspect d'Aneki aussi avait changé, son teint était plus rosé et les cernes noirs sous ses yeux avaient disparu. Même David avait remarqué ce changement et comme on n’a pas trouvé ça normal, on a décidé de l’observer avec plus d'attention.

Depuis la mort de la petite, Aneki avait aussi changé ses habitudes. Au lieu d’être plantée comme un totem en plein milieu de la cour, elle passait le quart d’heure de la récréation dans les toilettes des filles, que ce soit le matin ou l’après-midi. Ce n’était pas normal de rester aussi longtemps aux chiottes, comme ce n'était pas normal de rester en plein milieu de la cour de récréation à observer les autres.

Un matin, on l’a vu regarder partout avant d’entrer dans les toilettes. Sa grande carcasse était un peu recroquevillée comme si elle tenait quelque chose contre son ventre ou qu’elle avait mal à son bras invalide. C’était une semaine après la mort de la fillette. On a hésité un peu puis on s’est approchés. On a discrètement surveillé les entrées et les sorties des toilettes des filles puis la chance nous a souri, ou la malchance, je ne sais pas plus.

Les toilettes étaient disposées en longueur et Aneki se trouvait dans le compartiment du fond. Il n’y avait personne d’autre qu’elle. On s’est lentement approchés et on a commencé à entendre quelque chose que je n’oublierai qu’une fois les deux pieds dans la tombe : de courts grognements entrecoupés de bruits de succion. Puis on a entendu un petit cri suraigu. Quelque chose est passé sous le jeu de sa porte et a brièvement glissé sur le carrelage ; c’était une petite main d’enfant dont les doigts avaient été sucés ou rongés. L'os du poignet dépassait de la main ensanglantée et un coup de mâchoire avait creusé un trou dans la paume. Un morceau de chair pendait proche du petit doigt. Puis deux mains ont jailli de dessous la porte ; il y en avait une grande, normale, et une très petite, cadavérique, bleuâtre, aux longs doigts arqués qui tâtaient le sol à la recherche de la main arrachée. Le raclement des ongles crochus sur le carrelage était aussi horrible que le reste ! On s’est barrés en courant comme des dératés à l’autre bout de la cour. On a attendu d’être calmé pour en parler à la maîtresse. Sa réaction a été des plus inquiétantes : elle s’est mise à trembler de peur (du moins ce que je croyais à l’époque) puis a émis un long chut avec l’index devant ses lèvres. Puis elle nous a dit une phrase qui me hantera jusqu’à mes derniers jours : « Il lui en faut encore un puis mon bébé s'en ira ailleurs, alors chuuuuttttt, ne dis rien à personne, où Elle te dévorera les pieds puis les yeux ».

Une fois chez moi, j’ai supplié ma mère pour que la maîtresse me change de place sans lui en expliquer la véritable raison. M’aurait-elle cru si je lui avais dit qu'Aneki avait bouffé la main d’un gosse ? Et puis j’avais tellement peur des propos de la maîtresse que je n'ai rien osé dire. Je n’en ai pas dormi de la nuit et dès que j’entendais un bruit dans la maison, j'imaginais Aneki courir dans le couloir, s’arrêter devant la porte de ma chambre, l’ouvrir très doucement et passer sa main cadavérique dans l’ouverture, cherchant mon lit à tâtons avant de m’attraper les pieds et de me tirer vers elle pour me sucer les yeux !  

La seconde disparition a eu lieu dès le lendemain de la scène d’horreur des toilettes. David, mon meilleur pote, manquait à l'appel. J’étais dans une panique totale et je serais devenu fou si on m’avait laissé devant Aneki. Mais la maîtresse n’a pas eu besoin de le faire, car Aneki avait elle aussi disparu. J’ai dit tout ce que je savais à la police, autant sur mes découvertes que sur les propos de la maîtresse. J’ai raté la classe pendant plusieurs mois, comme la maîtresse d’ailleurs (pour dépression selon la thèse officielle). J’ai été très malade. Je voyais Aneki partout, dans le couloir, dans ma chambre, dans mon placard, sous mon lit, derrière moi. J'avais continuellement l'impression de sentir sa petite main cadavérique me gratter le dos, les cheveux ou l'arrière des cuisses. Et puis, avec le temps et l’aide d’un psy, cela s’est peu à peu calmé.

Aneki n’est jamais réapparu. Du moins pas dans mon village. D’autres disparitions ont eu lieu dans la région, d’autres enlèvements, d’autres meurtres sordides avec des cadavres d’enfants déchiquetés ou carrément dévorés. Les rumeurs allaient bon train et toutes les bêtes du folklore breton, celte, irlandais ont été citées. Ce que j’ai trouvé étrange c’est que personne ne parle des légendes japonaises ?

En tant que victime collatérale, j’ai eu accès au dossier à ma majorité. Dès les premières lignes, je n’ai pas cru que je lisais, j’ai cru qu’il s’agissait d’un autre rapport. La principale accusée dans cette histoire était madame Garreau, mon ancienne maîtresse. J’ai dû m’asseoir pour lire la suite.  

Madame Garreau était une jeune veuve de quarante ans. Pendant des années elle avait essayé d’avoir un enfant avec son mari. Sans succès. Du moins, pas d'un certain point de vue. D’après le rapport, le couple aurait fait un court séjour touristique au Japon neuf ans plus tôt. Madame Garreau serait revenue enceinte et sans son mari, mort dans des circonstances tragiques et non élucidées (un meurtre suivi d’une éviscération et d’un dépeçage). Quelque mois plus tard, elle a fait une fausse couche et a perdu le bébé (une fille d'après le rapport médical). Les flics ont perquisitionné chez elle et si l’extérieur de sa maison était dans la norme avec son petit jardin et sa façade en briques, l’intérieur était immonde : cadre de travers sur des murs jaunâtres, carrelage cassé, canapé éventré et meubles en piteux états. Sur toute les photos, une m’a particulièrement choqué : une chambre d’enfant avec un lit dont deux pieds étaient cassés, ce qui le faisait pencher d’un côté. Dessus, même si c’était assez sombre, j’ai remarqué la silhouette d’une grande poupée. Je l’ai aussitôt reconnue : cette poupée était le cadeau d’anniversaire de ma petite sœur à cette pauvre fillette disparue en premier ! C’est à ce moment que j’ai compris une chose horrible : la main qu’Aneki dévorait la toilette devait sans doute lui appartenir !

Ma petite soeur Noémie m’a téléphoné ce midi. Elle était morte de peur, sa voix tremblait. Elle a balbutié que la poupée était réapparue entre les bras de sa fille ce matin. J’ai trouvé ça tout à fait normal qu’Anaïs amène sa poupée pour déjeuner, mais Noémie m’a affirmé que cette poupée ne lui appartenait pas, que c’était la poupée de sa camarade disparue il y a un demi-siècle ! Au début, je ne l’ai pas cru, je lui ai dit qu’elle faisait une erreur, qu’après 50 ans il ne devait pas rester grand-chose de ce jouet. Elle m’a alors fourni un détail qui m’a fait froid dans le dos : la main droite de la poupée avait été arrachée et remplacée par une autre bien plus maigre et d’une couleur bleuâtre !

Il est 23h00. J’ai passé la journée dans ma chambre d’hôpital, j’ai peur de sortir. Je me sens oppressé, j'ai le dos, les cheveux qui me démangent, je n'arrête pas de me gratter. J’ai posté mon histoire sur plusieurs forums consacrés aux phénomènes paranormaux, aux revenants, aux entités maléfiques d’origine japonaise J’attends vos commentaires, peut-être votre aide. Merci.   

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8 commentaires:

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    1. Merci Black ! N'hésite pas à faire connaître mes creepys si tu le peux...

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  2. Bonjour ,Stéphane . C'est une camarade de classe que je n'aurais pas voulu avoir !

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    1. Moi non plus ! Merci de ton passage Alain, mes morbides amitiés, hi hi

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  3. Elle fait froid dans le dos celle-la, bravo à l'auteur, très chouette à lire comme d'habitude

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  4. super creepy mec, très bien pensée mais pour quand une suite (si il en aura une ) ? ;)

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    1. Je vais y réfléchir pour cet été mais pas avant, j'ai pas mal de taff en ce moment. Patience... Merci de ton passage.

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Je ride à attendre vos impressions...