Elle
a changé. Cela fait plusieurs jours qu’elle n’est plus la même.
Je
l’ai retrouvée juste après l’enterrement. Je n’ai pas compris ce qu’elle
faisait là, assise sur le siège passager de ma voiture, à me fixer de ses
grands yeux écarquillés. J’ai tourné la tête vers sa tombe, mais le couvercle
n’avait pas bougé. Pourtant ma femme était bien là, à trembler de froid. Sa robe
blanche lui collait à la peau que je voyais à travers le tissu trempé. Ses
longs cheveux noirs formaient une cascade sombre sur ses épaules et sa maigre poitrine.
Elle ne disait rien, me regardait follement, semblait être aussi perdu que je
l’étais. J’aurais pu avoir peur, j’aurais pu hurler, j’aurais pu m’enfuir, mais
je la reconnaissais, c’était bien elle.
Je
ne me suis plus posé de questions et j’ai démarré la voiture. Un peu plus tard,
une fois arrivé à maison, elle s’est assisse sur le canapé. Le buste droit, le
regard lointain, les doigts arqués de ses mains grattaient le tissu trempé de
sa robe reposant sur ses maigres cuisses. J’ai pris le cadre posé sur le poste
de télévision et je me suis assis à côté d’elle. Je lui ai montré notre photo
de mariage, je lui ai dit que la belle jeune femme aux cheveux noirs c’était
elle. Elle a baissé la tête par à-coups, a regardé la photo. J’ai alors vu ses
lèvres trembler, j’ai entendu des gargouillis sortir de sa gorge. Elle semblait
aussi émue que je l’étais et ses longues mains bleuâtres ont chiffonné sa robe.
Un bruit de vertèbre a résonné quand elle a brusquement tourné la tête vers
moi. Son regard écarquillé m’a fait frissonner ; je me suis mis à
trembler, j’étais assailli par un flot d’émotions contradictoires, me demandant
si je rêvais ou si tout cela était bien réel. J’ai alors posé un baiser sur ses
lèvres. C’était glacé. Un petit souffle rauque sortait de sa bouche et je me suis
dit qu’elle avait dû apprécier ce baiser. J’ai alors pris sa main gauche, j’ai
doucement décrispé ses doigts et j’ai embrassé l’alliance autour de son annulaire
gauche. Elle a émis d’un son glaireux que j’ai pris pour un pardon sans savoir
si elle se souvenait vraiment de tout.
Je
me suis levé et je l’ai tiré vers moi. Elle ne bougeait pas, semblait avoir
peur. Je l’ai rassurée, je lui ai dit que moi aussi je ne comprenais pas ce qui
nous arrivait, mais que la vie nous offrait peut-être une seconde chance après
l’accident. Nous sommes finalement montés dans notre chambre où je me suis
assis au bord du lit. J’ai fait glisser
ses bretelles le long de ses frêles épaules et j’ai apprécié la vue cadavérique
de son corps. J’ai caressé ses côtes, j’ai léché ses seins fripés, j’ai sucé
ses tétons gelés et, peu à peu, j’ai senti mon sexe me picoter. J’ai aussi
embrassé son ventre ridé, ce ventre qui aurait pu donner naissance à Joshua. Je
l’ai allongée sur le lit, je lui ai fait l’amour et même si c’était un peu
difficile et assez froid, j’ai aimé ça. Après son coma de trois mois, j’étais
tellement heureux de la retrouver que l’état de son corps ne m’importait guère,
tout comme son odeur de décomposition. C’était ma femme, je l’aimais, c’était
si simple à comprendre.
Elle
a passé les jours suivants à déambuler dans la maison. Elle s’arrêtait devant
chaque souvenir posé sur les étagères, regardait les tableaux, les livres de
notre grande bibliothèque, descendait à la cave où étaient entreposées nos
bouteilles de vin. Elle s’attardait aussi dans la chambre qu’elle avait aménagée
pour Joshua. Du bout des doigts elle caressait le rebord de son lit à barreaux,
murmurait des sons rauques, pleurait des larmes sèches. Je ne voyais pas la
raison de revenir à la vie si c’était pour ressasser le passé ? Était-ce ça
la seconde chance de notre couple ?
Au
bout d’une semaine, elle ne quittait plus la chambre de Joshua. Elle traînait
lentement autour du lit, regardait le coffre à jouets, caressait les poils du
cheval à bascule que lui avait offert sa mère avant l’accident. Quand
j’essayais de la sortir de la chambre, elle se débattait avec une surprenante
vigueur. Je n’ai pas insisté, j’ai cédé et elle a fini par y passer des journées
complètes, puis des nuits.
La
nuit dernière je l’ai entendue geindre dans la chambre du petit. Elle
murmurait, chuchotait je ne sais quoi, mais c’était très désagréable. Puis j’ai
entendu les pas de sa démarche chaotique dans le couloir. Elle s’est arrêtée
devant sur le pas de la porte, elle me fixait sans bouger. J’entendais le
souffle rauque et rapide de sa respiration, comme si elle était énervée. Elle
devait se souvenir de quelque chose, mais c’était impossible, j’avais été si
prudent. Puis elle s’est approchée de moi, s’est penchée sur mon oreille et m’a
soufflé d’une voix agonisante : « Pourquoi ? » Je devais
alors trouver une solution avant qu’elle ne se souvienne de tout. De plus,
l’odeur de décomposition devenait difficilement supportable.
Le
lendemain, alors que j’avais envisagé le pire, elle s’est plantée devant la
porte-fenêtre du salon et n’en a plus bougé. Les mains plaquées contre la vitre,
elle regardait le jardin. La musique de ses ongles sur le carreau est vite
devenue insupportable. Pourquoi était-elle revenue si c’était pour me
tourmenter ? Que voulait-elle exactement ?
J’ai
ouvert la porte-fenêtre et elle s’est lentement avancée jusqu’au fond du
jardin. Elle s’y est arrêtée puis s’est agenouillée. Le craquement de ses os
m’a fait frissonner. Avec ses mains arquées, elle s’est mise à creuser la terre,
à creuser encore et encore, sans jamais s’arrêter. Il n’y avait plus de
doute : non seulement elle se souvenait, mais en plus elle savait où je l’avais
enterré.
Un peu avant la tombée de la nuit, elle s’est
arrêtée de creuser et a soudainement plaqué ses mains sur son visage. Je me doutais de ce qu'elle venait d'apercevoir au fond de son trou. Moi j’étais assis sur le canapé, je sirotais une bière, je la regardais avec un petit sourire en coin. J’avais mon révolver posé sur mes cuisses, au cas où les choses
tourneraient mal, même si je ne savais pas si on pouvait tuer
ce qui était déjà mort.
Les
mains plaquées sur le visage, elle semblait pleurer. Je voyais sa poitrine
tressauter, des mèches de ses cheveux noirs tombaient dans son dos, sur la terre.
Puis elle a plongé un bras dans le trou et a saisi le reste du gamin. J’ai vu
une sorte de chose fripée et raide sortir du trou, une poupée miniature de
chair décomposée qu’elle a embrassée avant de la bercer contre elle. J’entendais
ses fredonnements glaireux. C’était très attendrissant, mais j’étais un peu
vexé, car je comprenais qu’elle n’était pas revenue pour moi, mais pour lui.
Alors à quoi bon ?
Je
me suis levé avec le gun en main, et je me suis dirigé vers le fond du jardin.
Je trouvais ça pathétique de la voir bercer ce fœtus crevé depuis trois mois. J’ai
levé mon arme et j’ai visé sa tête. Elle l’a tourné, m’a regardé de ses yeux
vitreux ; un léger sourire a fendu ses lèvres bleuâtres. J’y ai lu comme
un soulagement. Ses lèvres tremblaient quand j’ai tiré. Sa tête a éclaté en
plusieurs morceaux de cervelle et plaques de cuir chevelu. Elle s’est effondrée
sur le côté, le reste de sa tête pendait mollement au-dessus du trou. Puisqu’elle
était revenue pour lui, j’ai voulu lui faire plaisir et j’ai agrandi le trou. J’ai
jeté la mère et le fils à l’intérieur puis j’ai remis la terre et j’ai balancé des
graines de gazon avant de rentrer dans le salon. J’ai pris plusieurs autres
bières et j’ai fini par m’endormir devant la télé. Ce sont les craquements des
marches de l’escalier qui m’ont tiré de mon sommeil. Je n’ai jamais été
trouillard, mais ça commençait à faire beaucoup. Heureusement j’ai dû imaginer
ces bruits dans mon cauchemar répétitif, celui où je pousse ma femme dans le
dos alors qu’elle s’apprête à descendre les escaliers. Il n’y avait rien dans
l’escalier, pas l’ombre d’une silhouette et je me suis rendormi.
Parfois,
lors d’une nuit d’orage, quand un éclair zèbre le ciel et illumine le jardin,
je la vois derrière la porte-fenêtre. Elle a une main plaquée contre la vitre
et l’autre qui tient le bras du petit corps déformé de Joshua. Et dire qu’elle
a poussé le vice jusqu’à nommer le gosse du même prénom que son amant…
N'hésitez pas à vous abonner pour recevoir les dernières pastas directement dans votre boite mail, twitter, facebook, etc... N'hésitez pas aussi à partager mes creepys pour les faire connaître...
Le blog "Mes chroniques de l'Obscurité" (abonnez-vous !)
La facebook "Mes Chroniques de l'Obscurité" (likez !)
La facebook de mes créations littéraires
2017@Gebel de Gebhardt Stéphane.
Ce texte est libre de partage à conditions de m'en informer en commentaire çi-dessous.