vendredi 22 mai 2015

Mode d'emploi


     J’ai plusieurs fois tenté d’écrire un récit au climat effrayant ou malsain. Pour cela il faut un style jeune, efficace plutôt que recherché. Le mien étant plutôt littéraire je ne parvenais pas à mes fins et toutes mes publications étaient refusées. Quand soudain il m’est venu l’idée d’écrire un mode d’emploi. Oui, que me faillait-il pour y parvenir ?

     Après de nombreuses lectures (beaucoup de creepypastas et de faits divers) relatant de crimes sordides et d’histoires macabres, la fréquentation de sites traitant des différentes méthodes de tueurs en séries, des dialogues avec des internautes aux mœurs pour le moins compliquées, je possédais tous les précieux ingrédients me permettant de fabriquer le nirvana de l’épouvante, du moins c’était ma pensée de départ.

     La première chose que j’écrivais sur ma feuille encore blanche fut le mot « endroit ». Ensuite j’en détaillais les différents aspects que j’avais précédemment notés : murs en béton ou en tôles, un sol cimenté recouvert de détritus, un lavabo crasseux pour que mon prisonnier lave sa répugnante carcasse.  J’y rajoutais une lumière faiblarde suspendue à un fil dénudé, juste pour que la victime discerne un peu son bourreau. Des trous dans les murs afin que des rats essaient de la bouffer et une table d’opération de dentiste avec tout l’attirail métallique. Voilà, mon décor était planté, passons au bourreau.

     Déjà pour être bourreau il faut être cinglé, donc pas besoin de le préciser. J’ai noté que ce type possédait un physique ordinaire, passe partout, du genre bien par devant et qui te la met profond par derrière, un peu comme moi quoi. Un gars au passé compliqué, une mère alcoolique et névrotique, un père souvent absent et indifférent à son foyer mais qui violenterait son gamin juste parce qu’il est en vie ou parce que ce dernier aime dépecer tout ce qui lui passe par la main, insectes, oiseaux, chiens errants, chats de la voisine. Il faut aussi que le bourreau soit très jaloux, du genre à étriper le mec qui couche avec sa femme.

     Me voici rendu au chapitre essentiel, les victimes. C’est souvent des enfants, des paumés, des pétasses, des putes, parfois des machos qui se sont barrés avec la femme de leur meilleur ami. Quant au sort réservé aux victimes il était plutôt jouissif : étranglées, éventrées, et pour les moins chanceuses ligotées à un fauteuil de dentiste, à un lit conjugal avec du fil barbelé ou découpées vivantes sur la table de la cuisine.  

     C’est au moment d’écrire la première scène d’actions que j’ai eu le fameux complexe de la page blanche. Je me souviens avoir ressenti un malaise et aussi un goût écoeurant dans la bouche. Je ne me rappelais plus depuis combien de temps j’écrivais mon mode d’emploi ni depuis combien de temps je suis resté enfermé dans ma chambre.  Sur mon bureau, parmi les feuilles déchirées et les stylos cassés il y avait des plaquettes de comprimés. Toutes vides, comme les verres tachés de sang. Des bouteilles en plastique gisaient parmi tout ce foutoir. L’empreinte de doigts ensanglantés en marquait certains endroits.

     J’ai commencé à entendre une voix plaintive dans ma tête, comme un murmure à lequel on ne prête pas attention quand on est occupé à écrire ou à faire quelque chose d’important.

     Je me suis levé. Des gémissements. Ils venaient du lit à côté du bureau. Un homme y était attachée avec du fil barbelé. Terrifié il me regardait avec un grand œil ouvert tandis que l’autre pendait mollement le long de sa tempe, retenu à l’orbite oculaire par des filaments rougeâtres entortillés. Sur son corps lacéré de plaies était disposé des outils : une scie, un tournevis, un scalpel et une tenaille. Je ne reconnus que la tenaille. Une dent était encore prisonnière de sa mâchoire.

    Fasciné par la scène j’ai repris le carnet où j’avais noté mon mode d’emploi car je trouvais le mode opératoire satisfaisant. Je n’ai alors pas compris pourquoi toutes les pages étaient blanches, hormis çà et là, des traces de sang.

     Un peu plus tard j’ai retrouvé mes comprimés sur l’évier de la cuisine, dans la main de ma femme. J’ai dû ouvrir la porte du réfrigérateur pour lui parler…  

-  FIN -

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