vendredi 30 mars 2018

La poupée rieuse





Tout a commencé par un craquement, un léger craquement derrière la porte de mon placard. C’était la nuit de mon sixième anniversaire et j’avais eu comme cadeau une poupée. Sans trop comprendre pourquoi, j’éprouvais une fascination morbide pour Cassandra, le nom que j’avais donné à ma poupée. Je l’aimais et la détestais à la fois, c’était vraiment très étrange comme sentiment. Ses gros yeux vitreux sans sourcils étaient effrayants, et que dire de son sourire si grand qu’il touchait ses deux oreilles cachées par de longs cheveux noirs. Elle avait aussi un petit nez ridicule et des taches rouges sur ses joues. Sa robe grise lui ajoutait une allure adorablement macabre. On appelait ce modèle la poupée rieuse, car il suffisait de toucher une partie de son corps afin de l’entendre rire. On n’était qu’au début de l’ère des poupées rieuses et il était un peu normal que les rires enregistrés dans l’interface interne du modèle ne soient pas vraiment fidèles à un rire humain, c’était plutôt une suite de petits rires métalliques. Mes parents étaient pauvres, j’ai été très heureuse et très étonnée d’avoir un tel cadeau, même si j’ai gardé pour moi le fait que la poupée n’était pas neuve, car sous sa robe, j'ai découvert les craquellements du vernis de sa peau bleu-pâle.

Je n’avais pas beaucoup d’amies à cette époque et j’emmenais Cassandra partout avec moi, même à l’école. Son petit format me permettait de la cacher au fond de mon cartable. Et puis un jour, son petit rire métallique s’est déclenché dans la classe. C’est sûr que tout le monde a ri, sauf moi et la maîtresse, madame Bertrand, une femme colérique que je détestais. Pour ne rien arranger, le rire de Cassandra était complètement détraqué, elle n’arrêtait pas de rire encore et encore. La maîtresse a trouvé la coupable et m'a ordonné qu’elle se taise sur le champ. J’étais morte de honte, mes mains tremblaient en cherchant l'accès aux piles dans son dos, des larmes gonflaient mes yeux. Je l'ai secouée plein de fois, mais la poupée continuait à rire. En colère, la maîtresse me l’a arrachée des mains et l’a jeté par terre. J’ai entendu un craquement sec, comme une branche morte écrasée par un pied. La maîtresse l’a ramassée et en brandissant la poupée devant mon visage, a crié trois fois : confisqué, confisqué, confisqué ! C’est à ce moment-là que j’ai vu la tête brisée de ma poupée. Ses yeux étaient comme crevés et une fracture séparait son front en deux. 

À la suite de cette histoire, mes parents ont été convoqués à l’école en fin d’après-midi. J’ai pris deux claques par mon père et une par ma mère. Cette dernière m’a promis de ne plus jamais m’acheter de poupée.

J’ai eu vraiment beaucoup de mal à m’endormir puisque je n’avais plus Cassandra pour me protéger des méchants imaginaires qui vivaient dans mon placard. En pleine nuit, j’ai cru entendre son rire métallique. Je me suis réveillée en sursaut. Des chiens aboyaient furieusement au loin, mais sinon, ma chambre était silencieuse. C’était sans doute un cauchemar et alors que je tentais de me rendormir, j’ai entendu une voix agonisante au creux de mon oreille : « aidez-moi, aidez-moi ». Puis il y a eu ce rire, un rire dément, métallique, si fort que j’ai fini par crier en me bouchant les oreilles. Mes parents étaient fâchés contre moi et aucun des deux n’est venu me rassurer. Ce rire m’a semblé durer une éternité puis il s’est arrêté d’un coup, laissant la place aux aboiements des chiens.

Assise sur mon lit, essoufflée, le cœur battant, je regardais la pénombre de ma chambre. Les volets filtraient la pâle lumière de la lune et tous mes meubles semblaient gris. J’ai entendu un léger craquement derrière la porte de mon placard. Puis un second, toujours aussi bref, un troisième espacé d’un petit rire métallique, et d’autres, encore, et encore, d’autres rires, d’autres craquements qui me faisait sursauter. C’était affreux, j’avais l’impression qu’une mâchoire monstrueuse mâchait des os derrière la porte de mon placard.

Puis, quand j’ai cru que cette hallucination auditive terminée, la poignée a cliqueté en tournant très doucement, la porte s’est ouverte par à-coups. C’était si effrayant que mon cri est resté coincé dans ma gorge. J’ai sauté du lit et je me suis réfugié dessous. J’y suis resté un temps que je ne saurais dire, je claquais des dents, je regardais l’ouverture du placard qui n’était situé qu’à deux mètres de mon lit.

Un pied blanchâtre est apparu, un pied squelettique aussi grand que mon bras. Il s’enfonçait dans la moquette avant de sautiller autour du lit, de sautiller vers le fond de la chambre où j’ai aperçu la maigreur d'une jambe. Mon cœur battait si fort que je l’entendais cogner dans mes tympans. Je priais de toutes mes forces que cette horreur s’en aille, mais elle a sautillé jusqu’à mon lit puis elle a disparu. Enfin c’est ce que j’ai cru avant que mon matelas s’enfonce au-dessus de ma tête. J’étais petite, j’ai pu me rouler sur le dos pour voir ce qui se passait.

Le monstre bondissait sur le lit, le matelas s’est enfoncé plusieurs fois, me touchant le visage, le ventre et les jambes. Il devait y avoir plusieurs pieds, car le lit se déformait à plusieurs endroits en même temps. Ça s’est arrêté d’un coup, le silence est revenu, hormis ce claquement de dents qui sortait de ma bouche. La porte du placard a claqué sèchement, le monstre était reparti. Toutefois, je n’avais pas vu le pied sautiller jusqu’à lui, et j’ai attendu de longues minutes sans bouger un cil. J’étais trempé d’une sueur glacée, mes muscles me faisaient mal, j’avais l’impression qu’on avait jeté mon corps au fond d’un puits. Enfin, au moment où je voulais m’enfuir jusqu’à la chambre de mes parents, de longs cheveux noirs ont stoppé mon élan. Mon matelas s'est mis à bouger, le monstre a doucement baissé la tête, car ses longs cheveux s’entortillaient sur la moquette, puis un front blanchâtre est apparu. Le front était brisé en deux, sa texture livide m’a fait penser à de la peau collée sur du caoutchouc. Et ses yeux, jamais je n’oublierais ses yeux crevés d’où s’écoulait une humeur bleuâtre.   

La porte de ma chambre s’est brusquement ouverte, ma mère a crié puis…puis…je ne sais plus trop ce qui s’est passé, je me souviens juste de petits rires métalliques et de craquements effroyables.

En état de choc, je ne suis pas retournée à l’école pendant plusieurs jours, d’autant plus que j’étais très inquiète de l’état santé de ma mère. Elle a été transportée à l’hôpital avec de graves blessures, des membres brisés, un pied arraché. Mon père n’a jamais été le plus courageux des hommes et la police, alertée par les voisins, l’a retrouvé inconscient près du corps de ma mère. Il a été accusé de tentative de meurtre.

Ma pauvre mère a perdu la raison, elle n’a jamais pu témoigner en sa faveur. Lorsque j’allais la voir à l’hôpital, elle était souvent agitée, criait dès qu’elle voyait une poupée dans la télévision au-dessus de son lit, ou parfois, hurlait en me regardant, comme si j’étais responsable de son état.

Les policiers m’ont interrogé plusieurs fois et aucun n’a cru à mon histoire de poupée au visage brisé. Mais qui croirait une fillette de six ans ? Pourtant, si la police m’avait prise plus au sérieux, la maîtresse ne serait pas morte la nuit suivante. Son meurtre a été imputé à un rôdeur.

Un peu plus tard, j’ai trouvé un petit mot dans mes affaires d’école. La carte était sale, pleine de traces de suie et une écriture tremblante disait ceci : tu veux jouer avec moi ?

Même aujourd’hui, à l’heure où je termine de raconter mon histoire sur votre forum, je revois toujours le visage brisé du monstre, ses longs cheveux noirs, ses yeux crevés. Parfois, au milieu de la nuit, j’entends le petit rire métallique de ma poupée et parfois aussi, près de mon lit, le craquement de ses genoux...   


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samedi 17 mars 2018

Les effrayantes histoires d'un enfant (Chapitre 6)



Chapitre 6 – Recherches et découvertes

Malgré mes faibles connaissances en informatique, j’ai contacté l’hébergeur du site internet de Matthew. Bien entendu, je me suis heurté à une fin de non-recevoir à cause de la loi sur la confidentialité des données protégeant ses utilisateurs. Comme on ne pouvait laisser aucun commentaire sur son blog d’histoires d’horreur, je suis remonté sur le site d’histoires pour enfants où j’avais découvert les premiers écrits de Matthew. Mon idée était la bonne puisqu’il y avait des commentaires sous ses premiers textes ! Je me suis trouvé très con quand j’ai vu les dates de ces commentaires dont les plus anciens remontaient à six ans. Cela voulait donc dire qu’à ce stade de mes recherches, Matthew avait au minimum 14 ans puisqu’il disait avoir 8 ans pour son premier texte. Je dis bien au minimum, puisque je le répète, il n’était pas certain qu’il les ait postées juste après les avoir écrites.

Revenons aux commentaires. J’avoue les avoir lus avec une certaine voracité, et je frissonnais à chaque fois que des félicitations lui étaient adressées. Je me suis alors rendu compte qu’inconsciemment j’aimais ce gosse. Je sais, c’était complètement stupide alors que je ne le connaissais qu’à travers ses effrayants écrits. Était-ce alors de la compassion ? Je n’en savais fichtrement mais je trouvais à Matthew des circonstances atténuantes, sans doute à cause de sa mère que je trouvais très dur avec lui. Toutefois, je savais très bien que je ne connaissais Carlene qu’à travers les histoires sans doute non objectives de Matthew. Peut-être lui faisait-elle des câlins, peut-être avait-elle des moments tendes avec lui, mais Matthew n’avait sans doute pas envie de « ramollir » la portée macabre de ses récits ?

Au début de notre histoire, je vous parlais des renseignements sur la vie des Corns. Ces renseignements je les ai trouvés dans les commentaires sous ses premiers textes ! Un lecteur du site pour enfants lui avait demandé son vrai prénom et Matthew lui avait non seulement donné son prénom, mais aussi celui de sa mère avec son nom ! C’est là aussi que j’ai découvert une petite partie de son histoire personnelle (son âge à l’époque de ses premiers écrits et qu’il savait lire à 3 ans, écrire à 4).

Toutes les réponses de Matthew dataient d’au minimum cinq ans et tous les commentaires postérieurs à cette date n’avaient aucune réponse, ce qui signifiait que Matthew y avait répondu pendant une année environ. J’ai eu beau déroulé ses dix-sept premiers textes sans trouver plus d’autres réponses. C’est à ce moment que j’ai eu une idée complètement idiote. Je savais très bien qu’il ne répondait plus à personne depuis cinq ans, mais, obstiné et têtu comme je l’étais à l'époque, j’ai pris l’initiative de lui laisser un message. Je ne me souviens plus trop des termes que j’ai employés, mais en gros, mon message disait ceci :

Je suis un fervent admirateur de tes textes et je te félicite mon cher Matthew. J’aimerais savoir si tu vas bien et d’où te viennent toutes ces idées ? Je te laisse mon mail, au cas où tu voudrais me parler un peu plus de toi en privé.

Assez nerveusement je dois l’avouer, j’ai consulté le forum des histoires pour enfants pendant plusieurs jours, faisant sûrement de moi le plus vieux et le plus gros utilisateur de ce site. Je savais très bien qu’il n’allait pas me répondre, mais je gardais toujours en moi un petit espoir. Alors que cela faisait grosso modo deux semaines que j’avais posté ma question, mon cœur a explosé dans ma poitrine quand j’ai reçu cette réponse :

CREDDY

Recevoir ce simple mot m’a rendu fou de joie, même s’il était écrit en rouge et que la police de caractère était assez étrange. C’était comme si la plus belle femme du monde avait dit je t’aime à un vieux croûton comme moi ! Je crois avoir sauté de ma chaise à roulettes et avoir dansé autour pendant une bonne minute en claquant des mains et en tortillant du popotin. Puis je me suis rassis et je lui ai laissé des tas d’autres messages en espérant une réponse.

Quelques jours après (c’était un jeudi je crois), alors que ma vieille mère râlait pour que j’aille faire cuire la dinde pour le réveillon de Noël, un nouveau message a capté mon attention. Le sujet du mail était écrit en rouge, dans le même lettrage que la réponse de Matthew. Le titre du sujet était :

AIDEZ-MOI

Il a fallu que ma vieille mère me file un bon coup derrière la tête pour que je décolle mes yeux de l’écran. Avant de fermer l’ordinateur et de remettre à plus tard la compréhension de ce titre, j’ai constaté qu’il n’y avait pas d’expéditeur, ou plutôt si, il y en avait un, mais c’était impossible puisque cet expéditeur, c’était moi !

A plusieurs reprises pendant le réveillon on m’a demandé si ça allait, si j’étais malade, enfin toutes les attentions idiotes qu’on peut porter à un homme de mon âge. Bien sûr, aucun membre de ma charmante famille n’était au courant de mes lectures et par conséquent, de mes recherches. Toutefois, j’avais une belle-fille formidable. Elle me regardait toujours d’un œil bienveillant et a bien vu que ça n’allait pas. Quant à son crétin de mari qui n’était rien d’autre que mon fils, il s’en foutait royalement de ma santé ! À Gwenaëlle je confiais mes petits tracas, mes bobos, je lui contais mes balades en forêts, mes récoltes de champignons et le nom des oiseaux qui avaient chanté au-dessus de ma tête. Gwenaëlle avait aussi le petit qui vous détend, qui vous fait sourire. Par exemple, l’autre jour, je ne sais plus trop quand, elle m’a dit que j’étais agoraphobe et que je n’étais jamais sorti de cette maison ! Très drôle non ?

Reprenons. Après le déballage des cadeaux de cette bruyante marmaille, j’ai fini par craquer et j’ai emmené ma belle-fille dans mon bureau. J’ai refermé la porte, je me suis assis sur mon vieux fauteuil en cuir et je lui ai dit que je m’inquiétais pour un enfant dont je ne pouvais pas révéler l’identité. En femme conciliante, elle ne m’a pas cuisiné. Je lui ai demandé de me rendre un service, c’est-à-dire de laisser son email sous un texte du petit Matthew. Elle a accepté.

Le lendemain de Noël, Gwenaëlle m’a appelé. Elle était très angoissée et m’a demandé ce qui se passait, si j’avais besoin d’aide. Je lui ai répondu que non, que tout allait bien. Eh bien figurez-vous que suite à son message sous le texte du petit Matthew, elle a reçu exactement le même message que moi dans sa boîte mail !

AIDEZ-MOI

Mais le plus étrange et surtout le plus incompréhensible, c’est que l’expéditeur de ce message, c’était encore moi ! Au timbre de sa voix, je savais qu’elle ne plaisantait pas, elle m’a même demandé si je n’avais pas rechuté, si je n’étais pas victime d’une perte temporaire de mémoire ? Je lui ai répondu que je me sentais parfaitement bien et que je lui avais fait une blague d’un goût très douteux, que je m’en excusais humblement. Bien sûr Gwenaëlle m’a pardonné en me demandant de ne plus jamais recommencer.

Je suis resté un long moment dans mon bureau à me poser mille questions, à me demander qui pouvait envoyer des messages de détresse avec mon mail et quel était son but ?

De terribles cauchemars ont commencé le soir de cet incident. Même si j’en faisais quelques-uns depuis que je lisais ces affreuses histoires, ils se sont comme intensifiés. Je me voyais faire des choses terribles, j’étais toujours le mauvais personnage, le tourmenteur, l’homme qui massacrait la petite Élorine à coups de couteau ou frappait violemment Matthew à coups de pieds. J’ai alors compris que ces histoires allaient peu à peu m’entrainer à côtoyer les récifs escarpés de la folie humaine. J’aurais très bien pu tout arrêter mais je ressentais le besoin oppressant d’en savoir plus comme je sentais que j’avais un rôle à jouer et que finalement, je n’étais peut-être pas le chasseur, mais le chassé.

Un raisonnement complètement irrationnel a alors germé dans mon esprit : et si le petit Matthew avait un pouvoir psychique qui allait au-delà de ses textes ? Si pour une raison que j’ignore toujours, il avait écrit ses histoires dans un but précis, connu de lui seul ? Car il faut bien avouer une chose : je me sentais observer par ses horribles protagonistes dès que mes yeux parcouraient les lignes de ses histoires ! J’ai peu à peu développé un sentiment de paranoïa, j’avais l’impression que ces histoires s’emparaient de moi, qu’elles me prenaient aux tripes, qu’elles s’insinuaient dans ma boîte crânienne. Bon, puisque je vous écris, c’est que je m’en suis sorti ! Enfin je crois. Et vous qui avez lu ses premières histoires, ne sentez-vous pas la Grande Dame juste derrière vous, son bébé à moitié décapité tenu contre sa maigre poitrine, un couteau ensanglanté le long de son flanc droit ?



A suivre chapitre 7 : IL.

Toute la partie 1 (10 chapitres) en libre consultation sur le blog des chroniques de l'Obscurité.

La partie 1 est libre de droits et peut être librement partagée. Les youtubeurs devront me laisser un message pour une éventuelle vidéo.






Le blog de l'enfant qui écrivait des histoires
https://mycreddy.blogspot.ca

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