vendredi 4 mai 2018

Colas ne fait plus dodo




Qui n’a jamais entendu cette chanson enfantine quand il portait la couche : « Fais dodo, Colas mon p'tit frère, fais dodo, t'auras du lolo ! » Moi, cette chanson, je l’ai entendue jusqu’à l’adolescence. Heureusement, à mes treize ans, j’ai enfin eu la permission d’avoir mon lit dans une chambre à part.

J’avais constamment cette chanson en tête, je n’arrivais pas à me la sortir du crâne, c’était infernal, je pensais lolo du matin au soir, je dormais lolo, je rêvais lolo, je voyais des lolos partout, j’entendais même des voix me susurrer des trucs à l’oreille, des trucs qu’on ne pas dire aux enfants, qu’on ne doit pas dire aux enfants, des trucs de grands, des choses obscènes.

« Maman est en haut qui fait du gâteau », c’est la suite de cette comptine débile.
Maman faisait des gâteaux, beaucoup de gâteaux, trop de gâteaux. Elle ne travaillait pas, alors elle s’occupait de la maison, du jardin, de moi, souvent, très souvent, trop souvent et surtout, elle me forçait à bouffer ses putains de gâteaux, elle m’étouffait !

Alors, dans un accès de colère à l’adolescence, je l’ai étouffé avec une part bien épaisse de pudding. Cela n’a pas été facile, j’ai dû fermement maintenir sa tête contre la table de la cuisine, mon corps appuyé contre le sien, car elle bougeait beaucoup. Heureusement, mes deux mètres et mes 110 kilos ont eu raison de ses gesticulations inutiles. Une main sur sa gorge, l’autre plaquée contre sa bouche, je l’ai regardé s’éteindre, les yeux dans les yeux, mes iris jaunâtres dans les siens. C’était beau à voir, c’était comme un coucher de soleil, l’énergie de son regard s’est progressivement évaporée, remplacée par un voile obscur que seuls ceux qui tuent peuvent comprendre. Puis ce fut ses spasmes musculaires contre mon corps, comme si elle jouissait une dernière fois, comme si je lui avais fait l'amour.

Ma mère portait toujours un large décolleté, m’exhibant ses gros lolos depuis que j’étais gosse. Un dernier spasme les a secoués, a fait rouler leur peau laiteuse sous mon nez. De rage, j’ai déchiré son décolleté. Ses tétons étaient dressés. Mille images m’ont traversé l’esprit, toutes m’ont écœuré, j’ai eu des nausées, j’ai vomi sur ses seins le lait qu’elle me donnait encore la veille. Puis j’ai pris un couteau et…mon histoire étant diffusée un peu partout sur le web, je vais éluder cette partie pour les ados en mal de célébrité. Sachez simplement qu’une touche de sauce vinaigrette César rendra le goût de la viande moins métallique. Pour finir sur ce couplet, je dirais que si maman est en Haut, elle ne fait sûrement plus de gâteaux, sauf si le Bon Dieu l’a faite cuisinière !

« Papa est en bas qui coupe du bois », c’est la fin de cette infecte chanson mes petits.  Oui ce jour-là, papa coupait du bois en bas, près de la grange. Mon père était bûcheron, il était encore plus grand et plus costaud que moi. Méfiant, je suis arrivé par derrière mais une branche morte a cassé sous mon pied. Il s’est retourné et comme d’habitude, il a essayé de me frapper. À force d’être battu, j’ai appris à esquiver ses coups et ma hachette s’est plantée au-dessus du genou gauche. Plusieurs tendons ont été sectionnés puisque sa jambe a lâché sèchement, le faisant basculer en arrière, sur son tas de bûches. Sa tête a fait un bruit sourd contre le bois, il était sonné le connard.

 C’est la première fois que j’avais le dessus sur lui, je ne vous raconte pas dans quel état d’excitation j’étais. Je sautais partout en criant ma joie ! Au moment de lui couper la tête, il m’a sorti son refrain habituel, celui où il me dit que je suis fou, que je voie le mal partout, que j’ai sûrement oublié de prendre mes cachets, qu’ils auraient dû écouter les médecins et faire interner le monstre au visage difforme, le découpeur d’animaux, le sadique de la ferme ! Ses propos m’ont gâché ma fête d’anniversaire, j’étais très contrarié et au lieu de me taper la tête contre les murs comme je le faisais parfois, je l’ai frappé avec mon front jusqu’à ce que son visage ne soit plus qu’une bouillie pour bébé.    

J’ai passé 32 ans derrière les murs d’un hôpital psychiatrique à cause de cette maudite chanson. Aujourd’hui, je suis libre, en pleine santé mentale et physique. Ce qui m’a donné envie de raconter mon histoire, c’est que l’autre jour, alors que j’étais assis sur mon banc attitré dans le parc public, j’ai entendu une douce voix chanter la sordide chanson. Une femme berçait son enfant sur le banc à côté du mien. Elle tenait la petite chose entre ses bras et lui fredonnait sans cesse les paroles. À chaque nouveau couplet, sa voix devenait plus aiguë et de petits ricanements terminaient ses phrases. De la sueur me coulait dans le dos, j’avais tellement peur qu’elle lui donne du lolo devant tous ces gens, devant tous ces gamins. Alors je me suis levé et…j’ai été m’asseoir un peu loin. Elle a vu que je n’arrêtais pas de la fixer et elle est partie. J’ai respiré un grand coup et sans vraiment comprendre pourquoi, je me suis mis à pleurer la perte de mes parents.       

Ah oui, j’allais oublier, si vous avez un enfant, ne l’appelez Colas, comme moi, ou on se moquera de lui à l’école, on lui chantera sans cesse cette chanson débile et en rentrant chez lui, le gamin aura l’envie de se venger sur tout ce qui bouge, même les animaux….

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2018@Gebel de Gebhardt Stéphane.
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5 commentaires:

  1. Je m'attendais pas à une fin "paisible", bien joué, ça change des creepypastas habituelles.

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    1. Merci Rabadu, content de te voir traîner par ici...

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  2. Des trucs qu'on ne doit pas dire aux enfants*
    La phrase a été répétée 2 fois, la première a une faute et la deuxième non
    Dans un excès de colère*
    Ça rendrait mieux "il était sonné, le connard"
    Que je vois*
    Voilà ^^

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  3. Très bonne histoire. Très glauque. J'aime l'idée de reprendre une comptine. ça m'a fait pensé au roman d'Agatha Christie (Dix petits nègres).

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    1. Merci d'avoir lu cette histoire imparfaite, je vais la réécrire.

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Je ride à attendre vos impressions...