D’après mes psys, la
première chose à faire pour exorciser ses démons, c’est de laisser une trace
écrite. Je n’ai jamais eu envie de le faire jusqu’à aujourd’hui. Hormis des
formulaires et de la paperasse administrative, j’ai passé ma vie à éviter d’écrire,
j’avais bien trop peur que le stylo fuit et qu’une tache d’encre ne se redresse
sur la feuille. Personne ne peut se douter de ce qui peut naître à partir d'une
simple tache, personne.
Bon, alors voilà. Même
si je suis toujours angoissé, je vais me mettre à écrire mon histoire et
peut-être que j’arrêterais de voir des fantômes partout. J’avais quatorze ans
quand les faits se sont produits. On venait d’emménager dans une maison que mes
parents avaient fait construire. Mon père et ma mère étaient du genre très
maniaque. Si la plupart des parents emménagent dans une nouvelle maison pour
avoir plus grand, eux c’était pour avoir plus blanc et plus propre. Ma mère
avait toujours un maudit chiffon à poussière à la main, et mon père passait l’aspirateur
trois fois par jour quand il ne bossait pas.
Moi, ces murs blancs,
ce mobilier laqué, ça me faisait mal aux yeux et cela avait fini par me filer
de terribles migraines. L’ophtalmo m’a filé des médocs et des lunettes noires pour
les atténuer. Si mes parents ont accepté les médicaments à base de codéine, ils
ont refusé les lunettes prescrites sous le prétexte que je ne pourrais
plus admirer la splendeur de leur étincelante maison. Qui a pensé que j’avais
une famille bizarre ?
On avait aussi un grand jardin impeccablement
entretenu par monsieur, madame et par moi aussi (plus par obligation que par
goût des plantes vertes). Un jour où je grattais la pelouse avec mon râteau j’ai
accroché un truc dans la haie de thuyas encadrant le jardin. Une tige noire
dépassait de la terre. Je me suis baissé, j’ai creusé un peu et j’ai découvert une
vieille paire de lunettes noires. J’ai été les nettoyer en cachette avec un
produit qui se trouvait sur une étagère du garage et j’ai bien fait attention à
ne pas faire tomber le moindre grain de terre sur le sol laqué. Malheureusement
pour moi, j’ai dû en oublier quelques-uns et j’ai passé le reste de
l’après-midi dans le placard à balais avec quelques bleus au corps (mon père ne
me frappait jamais au visage, il n’était pas idiot). Heureusement j’avais
réussi à cacher mes lunettes dans une poche de mon jean. Je les essayais juste
avant de me coucher. À ma grande joie, les murs blancs sont devenus sombres tout
comme mon armoire laqué, mon bureau laqué, mon lit laqué car même si j’éteignais
la lampe de ma table de nuit, la lumière crue des lampadaires du jardin passait
à travers mes fenêtres sans rideaux. Ainsi mes murs n’étaient pas salis par le noir
de l’obscurité ! N’était-il pas vraiment con mes parents ?
J’étais donc allongé
sur mon lit, admirant l’atmosphère sombre de ma chambre. Au début, je n’avais
pas remarqué une tâche plus claire sur le plafond. C’est quand elle a bougé que
je l’ai vue ! Elle a glissé jusqu’à l’arrête du plafond, a dévalé le mur
jusqu’à mon lit ! D’un réflexe j’ai retiré mes lunettes et heureusement,
cette maudite tâche avait disparu. Inutile de vous dire que je n’ai pas réessayé
ces foutues lunettes ce soir-là mais j’ai tout de même regardé sous mon lit, au
cas où… Je n’ai pas super bien dormi et même si les taloches de mon père
m’avaient considérablement endurci au cours de ces dernières années, on peut dire
que j’avais la trouille mais ça, je ne l’avoue que maintenant...
Le lendemain mes
parents m’ont dit avoir mal dormi et m’ont demandé si j’avais fait des
cauchemars ou si j’avais crié. J’ai dit que non. J’ai d’ailleurs été étonné de
cette question, car même si je hurlais mes tripes, ils ne pouvaient pas m’entendre
puisque ma chambre avait été aménagée au sous-sol. Leur chambre se situait
au-dessus de la mienne et un mètre de béton nous séparait.
Plusieurs fois dans la
journée j’ai mis mes lunettes et j’ai regardé le plafond, les murs de ma
chambre sans revoir cette tâche. Autre chose a cependant marqué ma journée :
les violentes disputes entre mes parents. Il y a toujours eu quelques éclats de
voix entre eux, mais jamais avec cette intensité. J’ai bien cru que mon père
allait étrangler ma mère ou que ma mère allait égorger mon père. Aucune des
deux solutions ne m’aurait déplu, mais bon, de nature solitaire, je pensais
qu'il valait mieux vivre avec des maniaco-dépressifs qu’à la DASS avec une
troupe d’ados en mal de reconnaissance.
Au dîner on entendait
juste le bruit des couverts et des mastications. On n’avait pas grand-chose à se
dire alors pour « meubler » cette fastidieuse réunion familiale on
regardait la télévision. Mais ce soir-là c’était silence radio. On s’observait
comme des étrangers. Après le dîner mon père a refusé que je regarde un film
pour me détendre et m’a dit d’aller me coucher et de ne pas crier même si je
faisais des « putains » de cauchemar ! Énervé, j’ai pris
plusieurs cachets de codéine que l’ophtalmo m’avait prescrits pour les
migraines. C’est puissant la codéine, c’est un opiacé qui aide aussi à dormir. Assommé,
je n’ai pas essayé mes lunettes, et de toute façon, je n’avais aucune envie de
revoir cette tache au-dessus de ma tête. Je préférais nettement m’en tenir à
une hallucination qui ne se reproduirait plus.
Dans mon cauchemar, des
chuchotements m’ont réveillé en sursaut. Ça hurlait « Meurtrier ! Meurtrier ! ».
Une odeur de pourriture a empli l’air de ma chambre, ma table de nuit vibrait
et l’ampoule de la lampe grésillait. Je n’ai pas eu besoin de mes lunettes pour
voir la tâche au plafond. Elle s’est aussitôt étirée vers moi comme un énorme
ver de sang. La pointe s’est affinée pour venir me toucher. J’étais pétrifié, plaqué
contre mon lit, impossible de bouger. Pourtant, dans un réflexe pour sauver la
paix de mon âme, j’ai mis les lunettes noires et c’est là que je l’ai vu !
Un corps décharné et
décapité tendait un bras vers moi. J’ai été si surpris que je me suis jeté hors
du lit mais ma tête a heurté le coin de la table de nuit et j’ai vu 36 chandelles.
Vautré sur la moquette, il m’était réellement impossible de faire autre chose
que de geindre et de regarder le cadavre sans tête se décrocher du plafond et
tomber à mes pieds. J’étais au bord de la crise cardiaque, mon cœur cognait
dans ma poitrine, ma gorge, mes tympans. Au moment où j’ai cru que le décapité
allait se jeter sur moi, il s’est brusquement tourné vers la porte de la
chambre qui s’est ouverte toute seule. En claudiquant il a traversé la salle de
jeu, a monté les cinq marches menant au rez-de-chaussée ; la porte s’est encore ouverte toute seule. « Meurtrier, meurtrier ! » a
retentie dans le salon. Une poignée de secondes plus tard, autre chose a dévalé
les escaliers : mon père furieux. J’ai juste eu le temps de cacher mes lunettes
et de grimper sur mon lit. Alors que ce salaud me corrigeait, il me hurlait
qu’il n’était pas un meurtrier ! J’ai crié que ce n’était pas moi, que
c’était la chose du plafond ! Son poing s’est figé net. Il m’a sondé de
son regard exorbité avant de tourner tout doucement la tête vers le plafond. Il
est resté une bonne minute comme ça, le nez en l'air, le visage grimaçant, la
respiration saccadée. Il a marmonné une bouillie de mots, m’a de nouveau
regardé, puis il est reparti sans plus rien dire. C’était l’horreur.
Le lendemain matin,
avant le petit déjeuner, j’ai eu le droit à un interrogatoire digne de la
Gestapo. Toutes les questions portaient sur ce que j’avais vu, entendu, à
quelle heure, quand, comment. Malgré les taloches, je ne leur ai rien dit. Ça
me faisait plaisir de les voir paniquer, de voir la peur crisper leur visage. Restez
à savoir pourquoi, ce qu’ils savaient, ce qu’ils me cachaient.
Mon père a filé au
garage. Il est revenu avec une pioche, a traversé le salon puis s’est enfermé
dans sa chambre. Des coups sourds ont commencé à faire vibrer le sol. Ma mère
l’a rejoint et le suppliait d’arrêter. Cet enfoiré n’écoutait rien et continuait
à frapper, à s’acharner sur le parquet. On a sonné à la porte d’entrée. C’était
mon meilleur et seul ami. Je suis parti avec lui, heureux de quitter cette
baraque de fous.
Didier, le père de mon
pote a téléphoné au mien pour que je déjeune avec eux. Personne n’a répondu
alors je suis resté. Bien que je n’eusse absolument pas besoin d’entendre ça à
ce moment-là de ma vie, Didier nous a racontés une histoire effrayante pendant
que nous déjeunions : cinq ans auparavant, un riche fermier possédant de
nombreuses terres dans la région a disparu sans laisser de traces. Quelques
mois après sa disparition, un pêcheur du dimanche dont la ligne s’était prise
dans la vase de la rivière, a remonté… une tête dans un état de décomposition
avancée. Les analyses génétiques ont confirmé qu’il s’agissait bien de la tête du
fermier. Malgré de nombreuses recherches on ne retrouva pas son corps. J’ai cru
que cette sordide histoire allait en rester là jusqu’à ce que le père de mon
pote me susurre à l’oreille, comme s’il voulait que personne d’autre que moi n’entende
la terrible conclusion de son récit : dès la confirmation de sa mort, les
terres furent vendues, sa ferme détruite et l’argent âprement disputé entre les
héritiers dont l’un était mon père !
L’esprit plein de
doutes je suis rentré en fin d’après-midi. Qui avait bien pu commettre ce
meurtre si atroce ? Pourquoi n’étais-je au courant de rien ? Qui était ce
membre éloigné de ma famille ? Avec ce qui s’était passé hier soir je me
sentais très mal, mon esprit faisait de terribles rapprochements.
Mon malaise s’est
s’amplifié quand j’ai découvert le salon de leur étincelante demeure sens
dessus dessous, quand j’ai vu la cuisine retournée, de la vaisselle cassée et
des meubles pleins de poussière ! Je me suis dit qu’ils avaient dû se
battre mais non, mes parents riaient à gorge déployée ! Ils s’en foutaient royalement
et dansaient entre les meubles retournés, s’embrassaient sans aucune retenue ! Quand
ma mère a enfin croisé mon regard ahuri, elle m’a même demandé si je voulais
jouer avec elle ! Je ne comprenais rien de leur brusque changement d’attitude
et je ne suis ressorti de ma chambre qu’après m’être enfilé plusieurs cachets
de codéine. Au dîner, j’ai aussi halluciné car ma mère adepte de la cuisine
équilibrée venait de faire livrer quatre énormes pizzas ! Je n’avais guère
d’appétait mais eux se sont goinfrés comme jamais auparavant, buvaient de
grands verres de coca-cola en s’en foutant partout, pétaient et rotaient en se
marrant comme des gamins. Entre deux bouchées ils me racontaient des morceaux
de leur vie que je ne comprenais pas trop, des bribes incompréhensibles dont je
me foutais royalement. Parfois ils s’arrêtaient et m’observaient fixement sans
rien dire.
Mon malaise est
redescendu de plusieurs crans quand mes parents ont été se coucher main dans la
main, en train de pouffer, sûrement à l’idée de baiser. C’est la première fois
que je les entendais faire l’amour. Plus tard j’ai appris que pousser des
grognements de porc n’était pas faire l’amour. N’ayant aucune envie d’aller me
coucher et préférant rester loin de ma chambre, j’ai regardé la télé jusqu’à finalement
m’endormir.
« Meurtrier,
meurtrier » ! Le seul réflexe qu’on peut avoir quand on se réveille en
sursaut c’est de se jeter à terre. Les lumières du jardin qui passaient par les
baies vitrées, s’éteignaient, s’allumaient, ça faisait comme des flashs dans le
salon. J’ai entendu la porte du sous-sol grincer et j’ai aussitôt regardé dans
sa direction : une forme sombre claudiquait vers moi ;
« Meurtrier, meurtrier » grondait-elle d’une voix caverneuse. Je me
suis levé d’un bond et j’ai couru jusqu’à la cuisine où j’ai retiré un couteau
de boucher du bloc posé sur le comptoir. Je me suis retourné et la forme était
déjà là, face à moi ! C’était le corps décapité entrevu l’autre soir. Il
restait là, sans bouger, sans m’attaquer. Ça puait le diable. Les flashs
s’étaient accélérés, on aurait une nuit blindée d’éclairs avec de très brefs
moments d’obscurité. C’est à ce moment que j’ai entendu une voix dans ma tête
me demander de mettre mes lunettes. J’ai hésité quelques secondes puis je les
ai retirées de la poche arrière de mon jean. Je les ai posées sur mon nez avec
une certaine appréhension et ce que j’ai vu me sidéra : un vieil homme à
l’air sympathique ! Toutefois, son corps couvert d’une salopette maculée
de boue, était un peu étrange, mal proportionné : des bras longs et
maigres, un gros bide et des jambes dont l’une était plus courte que l’autre,
formaient sa silhouette. Il s’est brusquement retourné et a traversé le salon
en boitant jusqu’à chambre de mes parents. Les flashs donnaient l’impression
qu’il avançait par à-coups. J’entendais des chuchotements dans ma tête, des
chuchotements me dire « tes parents sont des monstres, tes parents m’ont tué,
viens voir les monstres ! ».
C’était effrayant, mais il fallait percer
l’abcès, en avoir le cœur net, car l’attitude de mes parents aujourd’hui
n’avait pas été normal, à condition bien sûr qu’un jour mes parents aient été
normaux ! Mon cœur battait la chamade quand je me suis approché de leur
chambre. Le vieil homme a attendu que je sois près de lui pour baisser la
poignée de la porte.
Les gonds ont grincé
comme un cri sinistre dans la nuit. Des grognements, peut-être des ronflements
se sont mélangées aux voix dans ma tête. « regarde, regarde » me
disaient-elles sans cesse. Et j’ai regardé…
Ce que j’ai ressenti
cette nuit-là c’était de la peur mélangée à de la haine. Ces êtres étaient
enlacés l’un contre l’autre et grognaient à chaque respiration. Ils me
dégoûtaient et m’effrayaient à la fois ! Les flashs me permettaient
d’apercevoir leur peau rougeâtre, leurs bras terminés par trois serres et la
maigreur de leurs jambes entourées d’une longue crinière noir jusqu’aux talons
pointus. J’ai aussitôt retiré mes lunettes, mais cela n’a rien effacé !
Les monstres étaient là, mes parents étaient toujours là ! J’ai hurlé de
peur et de rage et ils se sont redressés d’un seul coup ! J’ai alors vu
leurs yeux ronds et laiteux, leur visage décharné, figé sur un large sourire
percé de dents pointues d’un rouge éclatant !
Celui de gauche s'est
levé et m’a demandé ce que je foutais dans sa chambre. C’était la voix de mon
père ! C’était lui, il n’y avait plus de doute ! J’ai alors vu le
vieil homme se jeter sur lui et le mordre, le frapper si fort que des
bouillons de sang ont éclaboussé mon visage et mes vêtements. L’autre a voulu
lui porter secours mais il s’est littéralement fait dépecer devant moi, mis en
pièce avec je ne sais quel objet tranchant. C’était déjà trop pour moi, ma
raison a vacillé et je me suis enfui le plus loin possible de cet enfer…
Je ne sais plus comment
j’ai atterri à l’hôpital. Je suis resté plusieurs semaines en observation. Traumatisé,
je n’ai retrouvé la parole que très tard mais je ne sais plus trop quand.
Devant la porte de ma chambre, un policier assurait constamment ma protection. Sans
doute avait-il peur que d’autres montres viennent se venger ?
J’ai passé 22 ans en hôpital psychiatrique et j’ai
passé 22 ans à clamer mon innocence. Enfin non, 20 car depuis 2 ans j’admets
que c’est moi et que je regrette beaucoup beaucoup. Enfin c'était uniquement
pour leur faire plaisir à tous ces monstres en blouse blanche, uniquement pour
sortir de l'hôpital. Si on a retrouvé l’arme du crime, un couteau de boucher,
on n’a jamais retrouvé les lunettes de mon grand-oncle. Ouais, le fermier était
le frère de mon grand-père paternel, un vieil homme excentrique brouillé depuis
plusieurs décennies avec sa famille. En société, il utilisait un faux nom pour
qu’on lui foute la paix ! Je me demande qui a bien pu retrouver sa trace
avant qu’on ne retrouve son cadavre décapité dans le ciment du plafond de ma
chambre. On l’aurait mis là alors qu’il était déjà mort depuis 5 ans. Enfin ce
n’est qu’un détail, vous connaissez la suite, il s’est vengé des monstres…
Cette creepypasta est issue de mon esprit tourmenté. Vous désirez lire d'autres histoires d'épouvante et d'horreur ? Alors téléchargez sur Amazon mes deux recueils et leurs 31 histoires terrifiantes pour passer de très mauvaises nuits...
Attention, certaines nouvelles sont déconseillées au moins de 12 ans.
Découvrez mon roman d'Horreur/Fantasy
constamment dans les meilleurs ventes d'Amazon
Le blog "Mes chroniques de l'Obscurité" (abonnez-vous !)
La facebook "Mes Chroniques de l'Obscurité" (likez !)
https://www.facebook.com/mes.recits.obscurs.sgdg
La facebook de mes créations littéraires
2016@Gebel de Gebhardt Stéphane.
Copyright all rights reserved.