Chapitre 8 – Une
mère ingrate
Mes hypothèses avaient besoin d’un lien tangible avec la réalité. J’ai
fouillé le blog de Matthew et je suis tombé sur un autre entretien avec le
psychiatre. On ne pouvait pas le dater, tout comme on ne pouvait pas connaitre
l’âge de Matthew lors de cet entretien. D’après la teneur de ses réponses, je
ne lui donnais pas 13 ans. Comme le précédent entretien, il était signé W.A.
:
-
Alors jeune homme, comment ça va depuis ta dernière visite ?
Je regarde ma mère.
- Quand vas-tu donc cessé de regarder ta
mère avant de me répondre ? Je veux que tu me regardes moi,
d’accord ?
- Oui monsieur…ça peut aller monsieur.
- Parfait ! Bon, attention
j’attaque fort ! Je voudrais que tu me dises ce que représente Élorine
pour toi ?
- Élorine ?
- Oui. Dans le monde réel, que
représente-t-elle pour toi ?
- Personne monsieur, elle est comme
Creddy, c’est un personnage dans ma tête que j’aime mettre dans mes histoires,
mentis-je en souriant.
- Si tu vois son fantôme les soirs de
pleine lune, c’est qu’elle a existé, non ?
- Tout le monde sait très bien que les
fantômes n’existent pas, répondis-je avec un certain aplomb, car ma mère me
fusille du regard.
Le psychiatre sourit, il aime bien ma
façon de mentir. J’aurais aimé l’avoir comme papa.
Alors, toutes les fois où tu as vu cette
petite fille, tu as eu des visions ?
- Sans doute monsieur.
- Bien, je vois que tu as décidé de
garder tes secrets pour toi.
- Ce ne sont pas des secrets, juste des
visions monsieur, souris-je, car je me trouve malin.
Lui perd le
sien, il en a marre qu’on tourne en rond. Je lui aurais bien dit la vérité si
ma mère n’était pas là, mais elle veut assister à tous les entretiens, sinon il
n’y en aura plus. J’aurais préféré qu’elle ne soit pas là, car ça me fait du
bien de parler avec Andrew, je l’aime bien moi mon psy. Les consultations sont gratuites
car ma mère n’a plus assez de sous pour payer.
D’un
air sérieux, IL me demande :
- Est-ce que tu aurais aimé qu’Élorine
soit ta sœur ?
Le cuir du
sac à main de ma mère craque sous ses doigts crispés. Elle
intervient alors qu’elle n’en a pas le droit :
-
C’est une question idiote, Matthew n’a pas de sœur !
-
Ce n’est pas à vous que je m’adresse madame Corns, mais à votre fils, lui
répond sèchement Andrew.
Le
cuir du sac à main craque encore plus, j’ai l’impression d’entendre le plancher
du couloir quand ma mère vient vérifier si je dors avant de descendre à la
cave. Je dois mettre fin à cette tension sinon je ne reverrais plus jamais le psy
et je me retrouverais définitivement seul avec ma mère.
-
Rien, elle ne représente rien, juste que peut-être, au fond de moi, j’aurais
aimé avoir une petite sœur…
Ma
mère se détend, le cuir ne craque plus. Par contre, le visage du psy est
contrarié.
-
Très bien Matthew, très bien. » me dit-il visiblement mécontent. Maintenant
tu vas m’éclairer sur un point très important.
-
Oui monsieur.
- Si tu le veux bien, je vais revenir
sur un de tes dessins, elle concerne la petite Élorine. Non, ne regarde pas ta
maman Matthew !
Je sursaute car il a presque crié. Ma
mère ne dit rien, elle a l'habitude des colères.
- Excusez-moi monsieur.
- Bien. Alors…euh…oui…attends,
bafouille-t-il en feuilletant son grand cahier de notes, d’ailleurs il faudra
que je songe à faire des photocopies, tu dessines avec abondance et très bien,
mais ça, je te l’ai déjà dit. Ah oui, le voilà !
Il me montre un dessin où Élorine est
allongée par terre. Une mare entoure son petit corps. Un couteau est posé à
côté de sa tête ainsi qu’une sphère avec un pentacle à l’intérieur. Le manche
du couteau est très bien fait, c’est un couteau en os ciselé de runes. Je suis
très fier de l’avoir dessiné. Ma mère écarquille les yeux, elle n’a jamais vu
ce dessin, car elle ne s’intéresse jamais à ce que je fais. Le sac à main
refait du bruit, craque dans la grande salle blanche.
- Tu peux m’expliquer pourquoi tu as
dessiné ça ?
- Euh…je ne sais plus.
- Non, Matthew, ne me ment plus !
Je crois vraiment que tu le sais, mais que tu ne veux pas me le dire. Je
suis un psychologue, pas un clown à qui on peut raconter n’importe quoi,
d’accord ?
- Oui, monsieur, vous n’êtes pas un
clown. D’ailleurs je n’aime pas les clowns, ils me font peur quand ils rient
avec leur grande bouche. Et vous, vous aimez les clowns monsieur ?
Ma mère glousse car elle aime quand je
fais semblant de ne pas comprendre, de ne pas me souvenir.
- L0, tu me prends pour un clown, car tu
imagines que ta diversion va fonctionner.
- Et j’ai réussi ? demandé-je
avec un petit sourire.
- Malheureusement pour toi non,
sourit-il. Alors pourquoi cet horrible dessin ? Et ne regarde pas ta
mère !
- Bah, c’était juste un cauchemar !
élucidé-je timidement.
- D’accord. Décris-le-moi.
- Euh non, désolé, je ne m’en souviens
plus.
Andrew ferme les yeux et prend une
profonde inspiration. Je le sens très énervé. Enfin, après une bonne dizaine de
secondes, il force un sourire et me demande en rouvrant les yeux :
- Alors peux-tu me dire ce que
représente cette sphère avec le pentacle au centre ?
- Je ne sais plus.
- Et ces motifs sur le manche du
couteau ?
Si je ne lui dis pas quelque chose, il
va peut-être cesser nos entretiens. Moi, ça me fait du bien de parler de ça, ça
me détend. Même si ma mère ne va pas être contente, je désire lui offrir une
réponse.
- Ce sont des runes monsieur, dis-je
sans regarder le dessin.
- Tu n’as pas regardé le dessin, donc tu
t’en souviens très bien !
Il est très malin mon psy Andrew.
- Je me souvenais des motifs du couteau.
- Et pourquoi des runes ? Tu aurais
très bien pu dessiner des fleurs par exemple ?
- Les fleurs c’est pour les filles ! Moi,
je suis un gars et j’ai un livre de sorcellerie. J’aime bien les runes
dessinées dans ses pages, lâché-je avec trop de spontanéité.
- Un livre de sorcellerie ?
s’étonne-t-il.
Il joint ses mains sous son menton, les
coudes posés sur mon cahier de dessins. Le cuir du sac à main à ma mère craque
de nouveau.
- Très bien Matthew, très bien. Est-ce
qu’à notre prochain entretien, tu pourrais m’apporter ce livre de…jeu ?
- Ce n’est pas un livre de jeu monsieur,
c’est un vrai bouquin de sorcellerie en latin qui appartenait à mon…
- À personne ! intervient ma mère. Mon
fils a beaucoup d’imagination ou l’a sûrement trouvé dans une poubelle !
Le psy la fusille du regard, car c’est
la deuxième fois qu’elle intervient sans y être autorisé. Je le sens très agacé,
jamais je ne l’ai vu comme ça.
- Alors, puisque ce livre a été trouvé
dans une poubelle, vous ne verrez pas d’inconvénient à me l’apporter à notre
prochaine séance ? lui demande-t-il en forçant un sourire.
- Oh non, il est si sale que j’en ai
honte, feint ma mère.
- Ce n’est pas grave, je voudrais juste
y jeter un petit coup d’œil, juste pour comprendre certaines choses.
- N’insistez pas, c’est non ! tranche
ma mère.
De nouveau Andrew ferme brièvement les
yeux, reste calme, me demande :
- Puisque nous n’avons plus beaucoup de
temps Matthew, je veux juste que tu m’en dises un peu plus sur ce dessin.
Au niveau d’un marque-page rouge, il ouvre
mon cahier de dessin, le prend et le pose devant moi. Je rougis, car ma mère
n’aime pas ce genre de dessin.
- A qui appartient cette jambe Matthew ?
- C’est…c’est la jambe de Creddy,
rougis-je.
- Tu as dessiné cette main de la même
manière que la dernière fois, les yeux fermés ?
- Euh, non monsieur.
- Alors vas-y, raconte-moi comme ça
s’est passé.
- D’accord, répondis-je bien conscient
que je devais bien lui dire au moins un truc vrai aujourd’hui. Un matin, quand
je me suis réveillé, j’ai trouvé ce dessin sur mon ventre.
- Sur ton ventre ?
- Oui monsieur.
- Tu t’es endormi avec en…le regardant ?
- Non monsieur, je n’aurais jamais pu
m’endormir avec un truc pareil sur le ventre.
- Alors, comment s’est-il retrouvé sur
ton ventre ?
- Je ne sais pas monsieur.
Une tension s’installe entre nous, ses
yeux très verts me scrutent intensément.
- As-tu dessiné consciemment ce dessin ?
- Non, enfin, oui peut-être, enfin je ne
m’en souviens plus, hésité-je.
- Et si ce n’est pas toi qui as dessiné
cette jambe monstrueuse, alors qui est-ce ?
- Vous m’avez déjà posé cette question
monsieur, souris-je car il sait très bien qui c’est.
- Oui, mais tu n’y as pas répondu. Allez,
je t’écoute ?
- Peut-être mon ami imaginaire ?
-
La petite fille n’a jamais été mon amie ! lâche-je sans contrôle.
- Alors, c’est Creddy qui l’a dessiné et
l'a posé sur ton ventre ?
- Sans doute monsieur.
-
Je ne sais pas monsieur, mais peut-être veut-il que je m’habitue à son corps
avant qu’il n’apparaisse ?
- D’accord, répond-il en balançant la
tête, d’accord. À ton avis, combien crois-tu que cette jambe puisse
mesurer ?
- Au moins deux mètres monsieur,
m’emballé-je aussitôt.
- Deux mètres ? Creddy aurait des
jambes de deux mètres ?
- Creddy est très grand, enfin je
l’imagine comme ça !
- Mais…pourquoi veux-tu que Creddy soit
si grand ?
- Bah, pour me protéger monsieur Andrew.
- Mais te protéger de qui ?
- Bah de…
Le cuir du sac à main de ma mère craque,
je sens son terrible regard peser sur mes épaules, cela m’empêche de répondre
ce que j’ai sur le cœur. Comment pourrais-je faire comprendre à Andrew que
c’est pour me protéger de la petite fille puisqu’elle n’est pas censée
exister ?
- Enfin je voulais dire qu’un monstre
petit n’est pas effrayant, repris-je.
- Un monstre n’a pas besoin d’être grand
pour être effrayant Matthews.
- Sans doute monsieur, sans doute, et la
petite fille du couloir me fait bien plus peur que lui !
Bingo, là j’ai réussi car le cuir
du sac à main ne craque pas ! En plus, cela plein d’interrogations à mon psy
pour me revoir une autre fois !
- Très bien ! s’exclame-t-il
comme à chaque fin de séance. Tu sais où attendre ta mère ?
- Oui monsieur Andrew. À la prochaine
fois alors ? dis-je en lui tendant ma main.
- Je l’espère, répond-il, ce qui m’inquiète
aussitôt. Mais avant d'en être sûr, il faut que je parle à ta maman.
- Je ne veux pas qu’on arrête ! Je
vous aime bien moi ! m’emporté-je soudain.
- Laisse-moi discuter de cela avec ta
mère.
Des larmes noient mes yeux. Je ne bouge
pas. D’un ton doux il me redemande.
- S’il te plait, va t’asseoir dans la
salle d’attente. Allez…merci Matthew.
Mort d’angoisse, je m’assois dans la
salle d’attente qui est vide et froide. Il n’y a personne. J’en profite pour me
relever et coller mon oreille à la porte de son bureau.
- Madame Corns, je ne vais pas y aller
par quatre chemins. Soit vous me laissez conduire les entretiens à ma guise et sans
plus jamais intervenir, soit je vous laisse avec votre fils et croyez-moi, tout
ce que vous vivez aujourd’hui n’est rien comparé à ce qui vous attend ! dit-il
d’un ton que je juge menaçant.
Je suis un peu déçu d’entendre ça, il croit
que j’ai des hallucinations, que je suis fou.
- C’est mon fils ! réplique sèchement
ma mère, j’ai quand même mon mot à dire quand il raconte n’importe quoi !
- Ce n’est pas à vous d’en juger madame
Corns, cela fait partie de mon travail !
- Mais tout n’est que mensonges ! »
profère-t-elle. Si je l’ai amené ici, c’est pour vous prouver la folie
de mon fils et que vous le guérissiez de toutes ses histoires débiles !
Il y a un long silence, j’entends le
cuir du fauteuil du psy craquer à son tour.
- OK… Qu’attendez-vous de
moi, madame Corns ?
- Je vous l’ai déjà dit, que vous
le guérissiez !
- Excusez-moi, je me suis mal
exprimé. Qu’attendez-vous, vraiment de moi, madame Corns ?
- Êtes-vous sourd ou le
faites-vous exprès ?
- Et…de quelle façon voulez-vous
que je guérisse votre fils ?
Un silence s’installe, je n’entends
plus rien. Puis, après une trentaine de secondes :
- Bah, une fois que vous avez
constaté que ça ne tourne pas très rond dans sa tête, vous établissez une
solide ordonnance afin de lui donner de quoi allez beaucoup mieux !
- Et qu’entendez-vous par là
madame Corns ?
- Je crois qu’à l’heure d’aujourd’hui,
on administre de solides médicaments aux gens qui ne vont pas très bien dans
leur tête !
- Pour que votre fils devienne un
légume ?
- Au moins, il ne dessinera plus
de bêtises et n’inventera plus toutes ses histoires idiotes !
Nouveau silence. Puis :
- Et admettons que les
médicaments n’aient pas l’effet escompté, quelle autre solution seriez-vous
prête à envisager ?
- Je ne sais pas moi, je ne
connais pas le monde médical, mais…hésite-t-elle.
- Mais ?
Déjà faible, la voix de ma mère chuchote :
- Et dans quel endroit
enferme-t-on les fous, hum ?
Voilà pour le deuxième entretien trouvé sur son blog. Effrayant
non ? Une mère qui veut faire enfermer son fils dans un hôpital
psychiatrique parce qu’il écrit des histoires effrayantes est inqualifiable !
Déjà que je n’estimais pas beaucoup madame Corns, alors, après cette lecture, imaginez-vous
mon état d’esprit ! Oui, certes, mon jugement n’était pas objectif, car
rien ne me disait que le petit Matthew n’avait pas tourné l’entretien en sa
faveur, mais quand même ! Ce gamin voulait dire la vérité au psy mais sa
mère l’en empêchait ! Carlene imposait une omerta familiale ! Et dans
quel but faisait-elle ça, si ce n’était pour protéger quelque chose
d’inavouable et de terrible à la fois !
Résumons-nous en soustrayant les faits paranormaux : la petite Élorine
est égorgée par la Grande Dame qui a toutes les caractéristiques d’une Carlene
névrotique avec des tendances paranoïaques. Caché dans un coin, le petit
Matthew assiste involontairement à ce meurtre et en ressort traumatisé à
vie ! Admettons que le gamin ait 3 ans, âge des premiers souvenirs. Au
fur et à mesure de sa croissance, il fait de terribles cauchemars, revois sans
cesse l’acte monstrueux de sa mère, le transforme en petites histoires
effrayantes pour extraire ce meurtre de son esprit traumatisé ! Creddy ne serait donc que la représentation de l’acte
monstrueux de sa mère et le fantôme d’Élorine le souvenir de sa sœur ! Et
si mes suggestions étaient bonnes, cela faisait de Carlene une
meurtrière ! La personne à enfermer n’était pas Matthew, mais bien sa mère
! Elle voulait le faire enfermer car un jour il dira la vérité mais personne ne
le croira puisqu’il est fou ! Je devais donc agir même si j’avais l’amère
impression qu’il était déjà trop tard pour mon petit Matthew.
Était donc venu le moment où j’éprouvais le besoin d’entendre un avis
plus objectif que le mien car je m’étais pris de passion pour cette histoire. Tout
le monde sait que passion et raison ne vont pas ensemble. J’ai donc fait appel
à Henri, le type que je vous mentionnais auparavant. Je…j’ai…bon sang, mon fils
désire me parler et apparemment ça urge. Pourquoi cogne-t-il à la porte comme
ça ? C’est lui seul qui a la clé ! Je finirais donc de vous conter mon histoire après mon entrevue avec ce satané fils…
A suivre chapitre 9 : Pourquoi Creddy ?
Toute la partie 1 (10 chapitres) en libre consultation sur le blog des chroniques de l'Obscurité.
La partie 1 est libre de droits et peut être librement partagée. Les youtubeurs et autres conteurs devront me laisser un message pour une éventuelle vidéo ou diffusion écrite.
Le blog de l'enfant qui écrivait des histoires
https://mycreddy.blogspot.ca
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2018@Gebel de Gebhardt Stéphane.
Ou alors...
RépondreSupprimerNon j'avais dit que j'arrête de chercher >.<
C'est moi qui vais finir à l'hôpital psychiatrique T_T
Mon psy : Et si vous me parliez de ce qui vous a conduite ici ?
Moi : J'ai cherchée à comprendre qui était Matthew, a connaître la fin de l'histoire de Stéphane GdG du blog Les Chroniques de l'Obscure... J'y ai perdue ma lucidité
Ha ha ha tu es drôle mais sois sûr que je rembourserais une partie de tes soins psychiatriques !
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