dimanche 25 février 2018

Les effrayantes histoires d'un enfant (Chapitre 5)






Histoire 5 – La Grande Dame et la petite fille.

 « Ils sont où les bonbons ? » demanda la petite fille de la fermière à la Grande Dame qui lui tenait la main. 
« Dans ma maison ma petite chérie. Y’en a tout plein et tu pourras aussi en apporter à ton frère ».
« Super méga chouette, il va être super méga content mon frère », s’exclama la petite fille aux cheveux blancs.
« Mais j’espère bien ma petite Élorine, j’espère bien », dit la Grande Dame d’une voix qui croassait comme une corneille. 
Pendant une demi-heure, la Grande Dame et la fillette traversèrent la forêt de plus en plus sombre à cause du soleil couchant. Élorine commença à se plaindre qu’elle était loin de chez elle, ce qui énerva la grande dame mais elle ne lui montra pas.
Enfin, alors que le jour mourrait, Élorine vit une cabane entourée de six arbres gigantesques. C’était des chênes et sur ses branches croassaient des dizaines de corbeaux.
« Ils me font peur, gémit Élorine, je veux rentrer à la maison. »
« Les corbeaux ne sont pas méchants tu sais, ce sont des oiseaux intelligents et protecteurs pour les gens qu’ils aiment. »
« Et moi, ils m’aiment ? »
« Oui, je crois même qu’ils vont t’adorer ! rigola affreusement la Grande Dame en léchant ses lèvres gercées.
Les gonds de la porte d’entrée en bois grincèrent. Une odeur de charogne agressa les narines de la petite fille. C’était l’odeur de la mort. Mais Élorine ne connaissait pas l’odeur de la mort et entra dans la cabane perdue dans la forêt. Devant une imposante cheminée, des lapins égorgés étaient suspendus par les pattes à un fil tendu d’un mur à l’autre. Dans la cheminée, au cœur d’un brasier crépitant, un chaudron noir chauffait un liquide épais qui clapotait de grosses bulles jaunes. Sur une grande table en bois, un poulet égorgé baignait dans son sang. Autour, des fioles, des pots en terre cuite, des ustensiles tranchants, une assiette en bois et des verres sales formaient un désordre effrayant. En bout de table, un pot en os entretenait une plante étrange. La tige avait la forme d’un bras et au bout sa fleur était une boule de pics balafrée d’une bouche. On aurait dit une plante cyclope avec une grande bouche à la place de l’oeil. 
« Oui, je sais ce que tu penses, croassa-t-elle à la petite fille, je ne suis pas la reine du rangement. »  
« J’ai peur, je veux retourner chez moi ! »
« Mais enfin ma chérie, C’EST ICI CHEZ TOI ! » hurla la Grande Dame en levant un bras.
Élorine n’eut pas le temps d’avoir un réflexe. D’un geste rapide, la Grande Dame lui trancha la gorge. Un flot de sang jaillit du cou tranché et fusa jusqu'à la table. Puis le sang glissa comme une coulée de boue sur le tablier sale de la petite paysanne. Elle s’écroula en se tenant la gorge. Sa dernière vision fut celle des yeux écarquillés de la Grande Dame qui se penchait sur elle en souriant sadiquement. Alors qu’Élorine mourrait, la méchante dame enfonça sèchement le couteau dans la plaie jusqu’à trancher totalement la tête de la petite fille. Les derniers gargouillis d’Élorine était horrible à entendre. La grande dame attrapa la tête d’Élorine par les cheveux et la souleva en rigolant comme une cinglée. Des filets de sang coulaient du cou tranché et formaient des lignes rouges jusqu’au chaudron que la dame atteignit en faisant des grands pas. En poussant un rire maléfique, elle y jeta la tête ! Le visage grimaçant d’Élorine disparut doucement dans le bouillon de bulles jaunâtres.
La Grande Dame touilla la mixture épaisse en sifflotant une bonne heure. De la tête de la petite Élorine ne restait plus que quelques touffes de cheveux et un œil percé qui flottait à la surface. Enfin, quand la potion fut prête, la Grande Dame alla chercher une fiole et la plongea dans la préparation. Elle récolta un liquide visqueux qui eut du mal à entrer dans la fiole. Avec, elle marcha jusqu’au bout de la table. La tête de la plante suivait chaque mouvement de la Grande Dame. Celle-ci approcha la fiole près de balafre qui s’ouvrit en deux dans un gargouillis, laissant apparaître une gorge rosâtre d’où s’échappait une forte odeur de charogne. Les muqueuses étaient couvertes de boutons jaunâtres d’où s’écoulaient des filets de pus. La Grande Dame y versa la potion gluante en sifflotant. L’horrible plante avala bruyamment le liquide poisseux, un peu comme un bébé affamé qui avalerait son biberon.
 « Voilà, c’est tout pour ce soir mon bébé d’amour », lui dit la grande dame.
« Merrrrcccciiiiiii », répondit la plante d’une voix sifflante.
« À la fin du chaudron, tu seras encore plus grande et encore plus intelligente », piailla sa maîtresse.
« Ouiiiii. »
« Peut-être même qu’un jour tu iras à l’école pour apprendre plein de trucs intéressants. »
« Ouiiii, je veuuuuxxxx, c’esssst bieeennnn l’écoooollllleeeee. »
« Mais il ne faudra pas que tu croques la tête d’un camarade, hein, ma petite fille ? »
« C’esssst éviiiiiidennnnntttt. » 
« Parfait ! Allez, digère bien ma petite Élorine, c’est à mon tour de manger de cet excellent ragoût de petite paysanne insolente et pleurnicheuse. »
« Booonnnn appééééétiiiiiiit. »
« Merci ! »
Elle posa un baiser sur la muqueuse pestilentielle de la fleur qui referma d'un coup sa gueule et arracha un bout de lèvre à la Grande Dame. Un rire affreux résonna un long moment au cœur de la maison perdue au milieu de la forêt.

Voilà, c’est…terrible. Si aujourd’hui je ne verse plus ma larme pour la petite Élorine, ce ne fut pas le cas autrefois, quand j’ai découvert ces terribles lignes. Il m’a fallu pas mal de temps pour analyser ce texte, enfin si on peut appeler ça un texte, je dirais plutôt un exutoire. Oui, je sais, cette violence imaginative s’appelait Creddy, bien qu’à aucun moment Matthew ne mentionne son aide. D’ailleurs, à ce stade de ses histoires, que devenait Creddy ? L’avait-il chassé avec l’aide du psychiatre ? J’étais persuadé que non et mon intuition le confirmera plus tard, quand Matthew tentera à nouveau de voir son Creddy.

Une fois les émotions passées, j’ai pris le temps d’analyser ce texte avec cette idée en tête : où le jeune Matthew voulait-il nous emmener et dans quel but écrivait-il des histoires aussi horribles ? Pour moi, il devenait clair que la violence de ses lignes résultait d’une haine de plus en plus palpable contre sa mère. Toutefois, au fur et à mesure de mes lectures, je me disais être au cœur d’une belle famille de cinglés. Toutefois, les écrivains racontant des histoires d’horreur comme Stephen King par exemple ne sont pas catalogués comme fous. Mais à onze ans, écrire des récits de petite fille égorgée et d’un fantôme de bébé décapité n’avait rien de bien rassurant pour un gamin de son âge. Et puis, un cheminement inconscient m’a orienté vers une voie encore plus terrible que d’écrire des histoires fictives. Si Matthew écrivait son passé ? Oui son passé ! Souvenez-vous que Matthew a dit qu’il n’avait aucune imagination et que son ami imaginaire l’aiderait à trouver des histoires. Finalement, cela signifiait que Matthew se parlait à lui-même ! Étant donné qu’il n’avait pas d’imagination, il devait puiser ses sources narrative dans ses rêves, ses cauchemars et les conflits passé et présents avec sa mère. Autrement dit, dans sa réalité !

À partir de constat, de nouvelles questions sont nées dans mon esprit :  s’était-il passé quelque chose d’effroyable dans sa maison, dans sa cave que sa mère lui interdisait ? Aurait-il eu une sœur qu’il aurait totalement oublié ? S’appellerait-elle Élorine, comme la petite fille de ses histoires ? La connaissait-il physiquement ou était-elle née bien avant sa naissance car à aucun moment n’est mentionné l’âge de sa mère ? 

Plus je cheminais vers la vérité, plus j’avais la désagréable impression que sa maison abritait une horreur bien plus réelle que Creddy et qu’un gamin ne pouvait pas rester seul avec ses démons, réels ou imaginaires. Toutefois, son blog ne mentionnait pas la date de ses posts, et je n’avais aucune idée si ses histoires avaient été écrites il y a un mois, un an, dix ou vingt ans de cela. Peut-être les avait-il postées d’un coup et que Matthew était aussi vieux que moi quand je lisais ses histoires ? J’ai donc décidé de ne plus rester seul à me poser mille questions et j’ai été consulter un vieil ami ayant travaillé dans le domaine de l’enfance. Mais cela, je vous le conterai plus tard, car j’ai encore plein de choses à vous raconter. 

Comme d’un fait exprès, mon raisonnement a pris l’eau dans l’histoire suivante et m’a fait perdre pas mal de cheveux. Je vous laisse la découvrir et on en reparle après :





Histoire 6 – L’ermite et le fantôme d’Élorine

Cela s’est passé par une froide nuit d’hiver. Le vent soufflait fort contre la façade d’une cabane perdue dans la forêt. Sous ses vieilles couvertures miteuses, l’ermite grelottait. Minuit était passé, le vieil homme ne dormait pas. Ce n’était pas le froid qui l’empêchait de dormir, cela n’avait jamais été le froid, mais l’attente. Cela faisait quarante-six ans, six mois et six jours qu’il l’attendait. Alors que les branches continuaient à frapper les murs de leurs sombres griffes, l’ermite entendit trois coups : toc-toc-toc. Il se redressa sur son lit. Toc-toc-toc. Il n’eut pas peur, se leva et se dirigea vers la porte en disant :
« C’est toi, c’est enfin toi mon ange ? » 
Toc-toc-toc un peu plus fort, toc-toc-toc plus fort, toujours plus fort. La poignée de la porte s’énerva, quelque chose de furieux s’acharnait derrière. 
« Ne te met en colère ma chérie, je t’en supplie, tu sais très bien que je ne l’ai pas fait exprès. »
La porte continua à trembler, manquant de s’arracher de ses gonds, tandis que le vent soufflait encore plus fort et que les branches frappaient les murs comme des poings gigantesques. Des éclairs zébraient l’unique pièce de la maison, montrant le visage anxieux du vieil homme. 
Soudain, la porte s’arracha et vola dans l’air électrique. Flottant à l’horizontal devant l’ermite, un fantôme le regardait avec ses yeux rouges. Ses longs cheveux blancs formaient un éventail sombre autour de son visage livide. De sa bouche grande ouverte s’échappait un râle glaireux.
« Élorine, est-ce toi, est-ce bien toi mon ange ? »
Le râle glaireux lui répondit. 
« Je suis prêt tu sais, j’ai toujours été prêt ! »
Les bras en avant, elle se jeta sur lui. Le vieil homme tomba à la renverse. Quelque chose se brisa dans son dos. Les mains glaciales du fantôme serraient son cou. Le spectre crachait comme un chat. L’ermite étouffa, son regard exorbité fixait les yeux rouges d’une femme qu’il peinait à reconnaître.
Autrefois, Élorine fut très jolie. Matthew l’aimait beaucoup. Elle portait une longue robe à fleurs le jour de son accident de moto. C’était Matthew le conducteur. Elle s’est brisée les cervicales à l’endroit exact où Matthew a bâti sa cabane un peu plus tard. La moto a été détruite dans l’accident. Malgré un bras cassé, Matthew a été cherché les secours qui se trouvait à plus de trois kilomètres du lieu de l’accident. Quand il est revenu avec les Rangers, Élorine avait disparu. La forêt fut ratissée pendant plusieurs jours, mais la jeune femme ne fut jamais retrouvée. Cette nuit-là, c’était donc leurs retrouvailles, bien que Matthew l’eût imaginée autrement.
Les mains du fantôme continuaient à serrer son cou. 
« Je t’aime toujours », dit l’ermite d’une voix étranglée. 
« Allooorrsssss prouvveeee-leeeee » répondit l’entité d’une voix sifflante.
Elle desserra l’étreinte et flotta dans la cabane. Le vieil ermite porta les mains à son cou, reprit sa respiration pendant une bonne minute. Sortie de nulle part, une corde tomba à ses pieds. Il comprit aussitôt ce qu’il devait faire pour que l’amour de sa vie trouve enfin la paix. 
La tempête avait faibli, les branches ne frottaient plus contre la cabane, le calme était revenu dans la grande forêt. Le fantôme d’Élorine s’était assis sur le lit du vieil ermite. C’était étrange, car on voyait la fenêtre et la pâle lumière du jour à travers elle. 
Le vieux Matthew se releva et prit la corde. Il s’approcha d’Élorine et, malgré son visage hideux, l’embrassa en se remémorant leur premier baiser derrière l’église du village. C’était froid et humide, mais c’était elle, c’était ses lèvres, du moins les imaginaient-ils avec force.
« S’il te plaît, mets-toi dans le chaudron », dit-il enfin après ce long baiser. 
Élorine obéit et flotta jusqu’au chaudron posé sous une fenêtre dans un coin de la grande cabane. Mathieu lui sourit une dernière fois, puis attrapa sa chaise et sortit. 
Un air frais lui glissa sur le visage. Entre les branches, un bleu pâle annonçait l’aube. L’ermite s’avança jusqu’au grand chêne au tronc noueux qui faisait face à sa cabane. Il avait autrefois percuté cet arbre avec sa moto, envoyant Élorine se briser les cervicales dessus.
Sous la plus grosse des branches, il passa la corde, fit un nœud et attacha l’extrémité autour du tronc. Enfin, il monta sur la chaise puis passa le nœud du lasso autour du cou. Sa dernière vision fut celle de la silhouette d’Angélina debout derrière la fenêtre. Elle lui adressa un petit signe de la main au moment où le vieil ermite sauta de la chaise. Le chant d’un oiseau perché sur la cime du chêne masque à peine le craquement des cervicales d’un homme enfin libéré de ses tourments.
Le vieil ermite avait une sœur qui venait de temps en temps lui rendre visite. Une semaine après son suicide, elle le retrouva pendu au chêne. Alors qu’elle appelait les secours, une main se posa sur son épaule. Elle se retourna vivement et aperçut une jeune femme très belle qui n’avait rien à voir avec la robe grisâtre qu’elle portait. Elle reconnut Élorine. Quand les secours arrivèrent, Élorine avait disparu. Enfin non, elle s’était enfuie à travers la forêt, comme une jeune femme tout à fait vivante. Nul ne sait ce qui advint d’elle…

Voilà donc cette histoire qui a remis en cause toutes mes déductions précédentes. Matthew ne pouvait pas tirer ce récit d’un rêve ou d’un fait vécu vu le vieil âge du protagoniste. Pourtant, Matthew lui avait donné son prénom et avait nommé l’héroïne malheureuse Élorine. Moi qui en avait conclu que c’était sa sœur, je m’étais lourdement trompé. Toutefois, il y avait plusieurs points communs avec les autres histoires : la cabane dans les bois, le chaudron, le fantôme d’une Élorine devenue grande, sa mort. Sa résurrection restait un point mystérieux mais ça m’a mis un peu de baume au cœur, car dans toute la noirceur des histoires de Matthew, j’y ai vu comme un signe d’espoir. D’ailleurs, pourquoi Matthew voulait que cette fille ressuscite ? Aurait-il des remords à son sujet ? Se sentait-il coupable de ne pas l’avoir aidé à un moment crucial de sa vie ? Pourquoi s’est-il sacrifié ? Matthew avait-il des visions ? Nous montrait-il son avenir ? De plus, j’avais dû mal à situer cette dernière histoire dans le temps, mais j’ai noté une amélioration notable dans le style littéraire. Matthew était donc plus vieux quand il a rédigé ce texte.  

Par la complexité de ses textes et de sa personnalité, vous comprendrez pourquoi ce gosse me fascinait au point que j’en perdais le sommeil. Je me sentais dans la peau d’un capitaine aux commandes d’un bateau en perdition. J’ai donc ressenti le besoin de reprendre le contrôle et l’évidence m’a comme sauté au visage : remontrer sa trace, savoir quand ses histoires ont été postées pour, on ne sait jamais, l’aider, enfin si c’était encore possible. 


A suivre chapitre 6 : Recherches et découvertes.

Toute la partie 1 (10 chapitres) en libre consultation sur le blog des chroniques de l'Obscurité.

La partie 1 est libre de droits et peut être librement partagée. Les youtubeurs devront me laisser un message pour une éventuelle vidéo.




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2018@Gebel de Gebhardt Stéphane.


2 commentaires:

  1. Oui, j'ai hâte de le voir rencontrer ce Matthew ! J'espère qu'il parviendra à l'aider...

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Je ride à attendre vos impressions...